Suite du premier chapitre

Extrait de « La vie, au contraire! » (Roman en cours d’écriture)

Elle lui rendit son sourire et son bonjour en s’étonnant qu’il se souvienne de son prénom. Elle désigna le fond de la salle et s’y dirigea, devinant que Slava la suivait des yeux, un peu frustré de n’avoir pu engager la conversation. Elle choisit une table coincée dans un angle sous l’éclairage parcimonieux d’une applique en laiton terni. L’odeur de café mêlée à des relents de tabac froid imprégnait l’atmosphère. Elle était pour l’instant l’unique cliente. Slava appela Olga qui s’agitait dans la cuisine attenante au bar. Olga vint à sa table, un peu débraillée comme à son habitude, et nota sa commande en soufflant sur la mèche qui lui tombait devant les yeux. Alice commençait à lire le bouquin qui ne la quittait jamais quand la serveuse revint lui apporter son plat. Elle remarqua qu’Olga avait fixé sa mèche avec une barrette décorée de fleurs mauves. Une barrette de petite fille qui la fit sourire.   

Après avoir chipoté une chouba saturée de mayonnaise, elle grignota un strudel en buvant un café turc à la cardamome qui acheva de l’écœurer. Le restaurant était maintenant complet et un couple attendait près du comptoir qu’une table se libère. L’homme regardait dans sa direction et montrait des signes d’impatience. Elle se leva pour aller régler l’addition. Slava lui proposa un verre d’alcool de prune qu’elle refusa malgré son insistance. Il lui demanda ce qu’elle avait pensé de la soirée de la veille et de son ami Lev Rubinstein, le poète, qui était venu animer une soirée créative. Elle était flattée qu’il l’ait reconnue et remarquée parmi l’assemblée hétéroclite de son bistrot. Depuis qu’une collègue l’avait initiée à l’endroit, elle y venait parfois le soir y siroter une pinte d’Okskoye ou un verre de champagne russe, au coude à coude avec des intellos de son âge assis sur des chaises dépareillées. La musique techno y alternait sans complexe avec un concerto de Rachmaninov ou de Prokofiev sauf si Slava avait invité un chanteur ou un slameur comme Alexander Vavilo. Le chat de la maison, un noir et blanc obèse, faisait le tour des tables pour quémander quelques caresses ou des morceaux de gras. On s’en méfiait ; une fois gavé, il lui arrivait de vomir sur vos chaussures.   

Comme Slava se félicitait que son antre plaise à une si jolie française, elle lui assura en retour qu’elle adorait son restaurant et qu’elle aimerait bien qu’un tel lieu existe à Paris. Le visage du bistrotier s’éclaira et il se sentit autorisé à  lancer son opération drague en s’extasiant sur la coiffure nattée d’Alice. Vraiment, selon lui, elle avait l’air d’une russe authentique, pas comme les filles actuelles, des ersatz d’américaines, quasiment des sociales traîtres… Olga le bouscula en passant avec son plateau chargé et lui lança un regard moqueur tout en faisant un signe de connivence à Alice. Tout ça dans le même mouvement. Slava suivit des yeux la démarche ostensiblement aguichante d’Olga avant de revenir à son propos. Ça lui faisait plaisir de voir Alisa de bonne humeur. Il était rassuré, disait-il, car il lui avait trouvé, la veille, un air sombre alors que ses compagnons de table s’amusaient. Elle ne le contredit pas tout en se souvenant s’être sentie parfaitement détendue lors de cette soirée. Il l’aida à enfiler son caban et l’accompagna jusqu’à la porte, très prévenant, une main à peine posée sur son épaule.

intérieur du Buffet café à Nijni Novgorod

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