SOLITUDE

barque -

 

Soir immobile.

La terre gît sous ses voûtes hautes. La ville est un reflet mouvant. Une foule écran charrie son silence, des quinquets de quartz brillent entre les figures de faïence. Je compte les formes fluentes révélées par la luminescence brumeuse des réverbères : cent spectres blets qui vacillent par les rues étroites.

Le cri d’Anubis dessine des portées de chacones injouables. Sur les branches des sorbiers, les élytres des criquets battent au même rythme, sans chef d’orchestre.

Solitude dans l’œuf trop plein de ce monde.

Tu naîtras de l’attente fille Atlante, de ce vide, de l’absence. Tu calmeras le sirocco qui moud le grain des déserts. Tu seras le Nil, la tourbe, la semence qui crée l’homme. Tu te poseras sur mes épaules de ciel griffées par les oiseaux de proie.

Sourds ma source, trouve le cours de mon dédale, remonte l’écheveau de mon apocalypse. Que tes rivières secrètes accueillent la pluie acide de ma lumière morcelée.

Que le vent solaire éparpille mes abeilles d’os et de chair.

Enfants

 Falaise

Ils avaient grimpé sur la falaise et s’étaient assis dans l’herbe haute brûlée par le sel des embruns. Poussières de foin, étoiles de paille, herbes filantes. Litière de lumière frottée de vent.

   Il prit son visage entre ses mains et la regarda comme s’il ne l’avait jamais vue. Dentelles fougères, ombres légères sur sa peau d’épice. Elle l’attira à lui et leurs corps moissonnèrent callunes et tormentilles. Les fleurs de chèvrefeuilles nourrissaient leur souffle. Il voyait dans ses yeux des forêts enfanter le silence et des soleils avancer de front. Dans son corps, le sien retrouvait sa mémoire et l’avenir devenait possible. Il pressentait les jours et les nuits avec elle, leurs enfants dans son ventre. Enfants des greniers, des jetées sans fin. Enfants des îles vierges. Enfants miel des garrigues, enfants lavande, sève acide des sources. Leur flux les déposerait, coquillages, aux rives rêvées. Leurs mains nues les cueilleraient au creux de leurs corps pour les rendre à l’espace. Poussières d’homme, promesse d’univers. Enfants des anciennes blessures, argile tendre, terre de révolte, de récoltes mûres, ils seraient une revanche sur la mort et l’abandon, leurs justes enfants du midi des groseilles. Ils ouvriraient l’horizon et rebâtiraient un monde juste et fraternel, ils franchiraient d’un bond les haies des prairies nocturnes pour créer la lumière.
Il entendit nettement leur rire tandis que la mer assaillait la falaise et qu’elle ondulait avec eux.