Barbaraest quelqu’un pour qui la poésie est aussi vitale que la respiration. Ses mots fusent, s’accouplent et donnent naissance à des images inédites qui permettent au lecteur d’accéder aux étages supérieur de son âme. La poésie de Barbara Auzou glorifie l’amour, la vie, la beauté.
Elle publie chaque jour généreusement sur son blog « Lire dit-elle », une poésie inspirée, mais aussi inspirante, charnelle et émouvante.
Il était satisfait. Ses actionnaires auraient des revenus assurés pour des années. Une commande d’État, un projet gigantesque ! Aucune tréfilerie au monde n’avait eu cette chance. Il s’agissait de construire un mur qui enfermerait à terme quarante pour cent de la Cisjordanie et la séparerait d’Israël.
Sept cent quatre-vingt dix kilomètres de long, soixante à soixante-dix mètres de large avec, successivement, une ligne de fil de fer barbelés à lames (ses barbelés !), un fossé, un mur en béton haut de huit mètres muni d’un système d’alarme électronique, des voies de passage et, à nouveau, du barbelé, sur plusieurs rangées. Des milliers de kilomètres de fil.
Il accompagna un ministre dans les premiers temps du chantier. Depuis un hélicoptère, il vit ses chers barbelés tendus autour des enclaves palestiniennes de Kalkilya et de Tulkarem. Et ce n’était qu’un début. Des milliers d’oliviers avaient été arrachés pour faire place au mur. Qui a entendu les plaintes des paysans chassés de leur maison, séparés des ressources en eau et de leur terre par des tranchées qui coupent les chemins d’accès ?
Le ministre lui annonça qu’une fois les travaux achevés, trois cent quatre vingt mille palestiniens seraient contenus par cette frontière barbelée. Soudain il se revit, enfant affamé, couvert de poux, errant dans les rues du ghetto de Varsovie arrêtées net par un mur de brique. Une atroce douleur lui tordit le ventre tandis que des images de son passé affluaient, un train dans la nuit, des cris… Treblinka. Pourquoi avait-il été épargné ?
Des images d’actualités s’imposèrent à lui : d’autres murs, d’autres remparts qui couraient à la surface de la planète. La barrière électrifiée entre les deux Corées; la ligne verte séparant les communautés grecques et turques sur l’île de Chypre – fils barbelés, béton, tours de guet, fossés anti-chars, champs de mines ; les lignes de « paix » – acier, béton, barbelés !- en plein Belfast ; Le Berm, ce remblais de sable de deux mille kilomètres de long, élevé par les Marocains sur le territoire sahraoui ; l’encerclement de Melilla et de Ceuta, ces enclaves espagnoles emmurées au Maroc ; les douze cent kilomètres de mur construits par les États-Unis à la frontière mexicaine – et ce n’était pas fini ; le grillage électrifié hérissé de barbelés qui traverse le Cachemire entre l’Inde et le Pakistan ; la barrière le long de la frontière du Pakistan avec l’Afghanistan ; le mur édifié à Bagdad par l’armée américaine pour séparer les quartiers sunnites et chiites…
Il avait accepté de participer à cette folie, aveugle à ce qui n’était pas ses propres préoccupations et, soudain, il avait conscience de trahir sa propre histoire.
Aucun Josué ne ferait tomber ces murailles au son des trompettes, comme à Jéricho. Le ghetto moderne finirait par enfermer tout le monde, chacun de part et d’autre des barbelés.
Ce furent ses dernières pensées, juste avant que l’hélicoptère ne soit touché par un tir de roquette.
Un texte publié en son temps dans le cadre des 807 par Franck Garot. Vous pouvez en lire d’autresICI
Plume et lavis
Deux ans déjà que je suis prisonnier de cette secte de graphomanes, encagé dans ce réduit aux murs tapissés de livres, 807 exactement, portant ce même numéro 807, quelque soit l’éditeur ou la collection. Tout juste si mes geôliers m’apportent une ration suffisante pour survivre, le plus souvent une bouillie infâme de pâtes alphabet gonflées dans un brouet clair. Pour boire, il faut que je supplie et je n’obtiens mon verre d’eau qu’à condition de réciter sans me tromper les livres qu’on me force à lire. Toutes ces lignes accumulées forment un monstrueux hypertexte où mon esprit se perd. A peine, me souviens-je des titres qui s’enchaînent hors de toute cohérence stylistique. Voyez cette liste folle de numéros 807(et il m’en reste encore 793 à ingurgiter avant ma libération !) : Le pari d’un chirurgien de Marion Lennox – Ed. Harlequin / La chute de Constantinople d’Edward Gibbon – Ed.Payot / Télé poche du 29 juillet 1981 / La fille des marais (anciennement titrée : Bayou, bayou) de Charles William – Ed. Rivage Noir / Huis clos, suivi des Mouches de Sartre – Ed. Folio / La machine de Balmer (SF) de Claude Veillot – Ed. J’ai lu / L’éternel mari, pièce de Victor Haïm d’après Dostoïevski – Ed. de l’Avant scène / Jean-Christophe (tome III – l’adolescent) de Romain Rolland – Ed. Livre de Poche (le surveillant n’a pas voulu m’apporter les neuf autres tomes qui ne portaient pas le bon numéro) / Ma vie chez les indiens de Mary Campbell – Ed. Livre de poche jeunesse / Les dieux de l’espace (SF) de Franck Dartal – Ed. Fleuve noir / Le numéro du 14 janvier 1960 des Lettres françaises où l’on parle d’Aragon et de Michel Butor / Le Voleur, journal pour tous du 20 décembre 1872 / L’Auto Journal du 15 juillet 2010 consacré à la Peugeot 508 (une erreur de casting, probablement) et enfin last but not least, Le volume 3 (sur 5) des Fondements de la critique de l’économie politique de Karl Marx aux éditions 10/18.
Mais, silence ! Il me reste 150 pages à apprendre par cœur et j’entends les pas du Taulier dans le couloir.
Ce qu’il faut pour garder la santé, c’est l’optimisme et varier les menus. Un jour aux Restos du Cœur, place de la République, le lendemain boulevard de Ménilmontant, devant le portail clos du cimetière du Père-Lachaise. C’est un peu bruyant, les gens s’impatientent mais le camion de la mairie arrive toujours à 19h30. Je suis caissière dans un hyper de banlieue. Je passe 22 stations de métro pour venir. Quand mes horaires de travail me le permettent, j’essaie d’être parmi les premiers à attendre. C’est qu’on est près de 600. La patience est une qualité de pauvres. Plus de chéquier, plus de carte bleue, mes fins de mois commencent le 8. Ils servent de la soupe à volonté. C’est chaud, c’est bon. Que demander de plus. J’ai un petit appétit. Pourtant je me fatigue au boulot. Je bosse à toute heure du jour et de la nuit, été comme hiver. Ça change tout le temps. Le travail flexible, ça vous rigidifie le dos, je vous le dis. La direction de l’hyper vient de m’augmenter. Un euros de l’heure en plus. Un pactole ! Ça ne m’arrange pas. Je vais dépasser le plafond. J’ai peur de ne plus avoir droit à la Complémentaire Santé Solidaire (C2S)*. Il paraît même que maintenant, je dépasse le seuil de pauvreté. Dommage que le seuil de richesse n’existe pas…
Une version en prose du poème « Dans ses yeux » publié hier…
Presqu’île de Crozon
Ils avaient grimpé sur la falaise et s’étaient assis dans l’herbe brûlée par les embruns.
Poussières de foin, étoiles de paille, herbes filantes. Litière de lumière frottée de vent.
Il prit son visage entre ses mains et la regarda comme s’il ne l’avait jamais vue. Dentelles fougères, ombres légères sur sa peau d’épice.
Elle l’attira à lui.
Leurs corps moissonnèrent callunes et tormentilles. Les fleurs de chèvrefeuilles nourrissaient leur souffle. Il voyait dans ses yeux des forêts enfanter le silence et mille soleils avancer de front. Dans son corps, le sien retrouvait sa mémoire et l’avenir devenait possible. Il pressentait les jours et les nuits avec elle, leurs enfants qui pousseraient dans son ventre. Enfants des greniers, des jetées sans fin. Enfants des îles vierges. Enfants miel des garrigues, enfants lavande, sève acide des sources. Leur flux les déposerait, coquillages, aux rives rêvées. Leurs mains nues les cueilleraient au creux de leurs corps pour les rendre à l’espace. Poussières d’homme, promesse d’univers. Enfants des anciennes blessures, argile tendre, terre de révolte, de récoltes mûres, ils seraient une revanche sur la mort et l’abandon, leurs justes enfants du midi des groseilles. Ils ouvriraient l’horizon et rebâtiraient un monde juste et fraternel, ils franchiraient d’un bond les haies nocturnes pour affronter la lumière. Il entendit nettement leur rire tandis que la mer assaillait la falaise et qu’elle ondulait avec eux.
En se promenant sur les blogs des uns et des autres, j’ai fini par devenir fidèle de certains d’entre eux tenus par des des ami-e-s potentiel-le-s que je ne rencontrerais probablement jamais. Virtuels et à portée de mains, pourtant. Nous échangeons parfois, sans doute un peu frustrés de tant de rapidité et de distance, mais heureux d’une parenté de sentiments et d’idées où nous nous reconnaissons. Le partage virtuel console parfois de ne pouvoir échanger sur nos passions dans notre quotidien immédiat…
Aujourd’hui, je vous conseille de lire Les chroniques du lundiconcoctées chaque semaine par Philippe Pittetscénographe, plasticien et observateur lucide du monde tel qu’il va. Ses chroniques traitent de l’art, de la politique (donc de la vie) et contiennent nombre de liens qui éclairent sur notre monde.