La mère morte

JARDIN 3

Ma mère n’est pas morte.

Ce n’était pas elle dans son cercueil. Un fond de teint beigeasse plâtrait son visage. Je ne l’ai pas reconnue. Le mannequin de cire qui la remplaçait ne lui ressemblait pas. Sa tête, trop légère, ne creusait pas le coussin blanc de satin synthétique. Sans doute que ses rêves et son âme s’étaient envolés de son crâne et ne pesaient plus rien.

Ma mère ne mourra plus.

Sur les photos que j’ai trouvées dans sa chambre, au fond d’un sac de toile bleue, elle a cinq ans sur les genoux de son père, douze ans dans une aube de communiante comme on n’en fait plus et seize en équilibre sur une branche, un sourire éclatant au lèvres qui n’efface pas tout à fait l’ombre dans son regard, les images de la guerre qu’elle vient de subir.

Ces clichés où la réalité s’estompe sous d’anciennes lumières maintenant éteintes serrent le cœur.

L’heure des thés

 

4-

Le désespoir pousse en lui. De l’herbe entre les pavés ! En venant chez elle par le bus et le métro, il combat ses pensées noires par de naïves résolutions.

Il aimerait lui paraître moins ordinaire, moins vieux aussi et se rendre subtil. Un frôlement d’aile, un thé au lait dans une tasse pervenche…

Il est jaloux de sa douceur. Elle effleure ses yeux d’un battement de cils. Son regard meurt et revient vers lui, vague lente. Son souffle parfumé de garigue a des effleurements d’abeille. Son sourire fond, bonbon miel et menthe.

Il veut, pour elle, devenir aérien, un nuage filé par le zéphyr, l’onde tiède d’un champ de blé. Son sexe nichera dans le sien, aussi gracieux qu’une alouette. Après l’amour, elle lui offrira un thé et il boira sa bouche bergamote.

Earl Grey.

Il embrassera ses yeux lotus pour laver leur mémoire les étonner de sa nouvelle apparence : délicate et fragile. Il sucera ses fruits exotiques sous l’ombrelle en papier de soie qui sert de lustre. Ses mains recueilleront le flot de ses houles tièdes, le sucre de sa passion pendant que le thé refroidira.

Thé vert, thé de chine. Que l’été vienne !

Rêvant à ce nouvel Eden, il sonne à sa porte et attend qu’elle lui ouvre en se curant le nez.

Elle surprend son geste et se détourne au moment où il allait l’embrasser, encore tout reniflant.