Grand Imaginaire

Acrylique et huile sur bois (Joël Hamm)

Dis, Grand Imaginaire, toi qui n’es jamais fatigué, efface donc l’ombre noire du monde, si tu le peux !

   Ravive la voix des reines perdues. Celles que j’ai aimées et celles que j’ai trahies. Reconstruis, pendant que tu y es, les cathédrales de la forêt en péril.

   Redonne vie à cet amas d’arbres calcinés par les guerres. Insuffle verdeur et vaillance à la nature blessée.

  Toi qui n’es pas avare de mots, enseigne la parole aux pierres comme au temps où les hommes faisaient jaillir l’étincelle des silex pour embraser leurs nuits et éloigner les fauves.

   Ne te contente pas de consoler mon âme avec des légendes d’amour qui endorment ma vigilance inquiète.

BIOGRAPHIE

DOUBLE VIE

J’exhibais mes mille vies. Comme si ma biographie pouvait éclairer l’humanité. Je racontais partout que j’étais le fils aîné d’une immigrée italienne bavarde et d’un père taiseux, rejeton putatif d’un baron français producteur de houblon.

   Adolescent mélancolique, les mots me sauvaient de mes peines. J’égayais de mon verbe déluré la banlieue où je vivais. Je portais la guerre en moi.

   Grièvement blessé sur le front de l’Amour. Décoré, bardé de croix, j’ai rédigé mes mémoires pendant ma convalescence. Je rêvais à l’Autriche du 19 ème siècle, à ses plumes, à ses ors, sans bouger de mon lit.

   Découragé, misérable, ma santé déclinait. Ma maigreur faisait peur. J’en faisais un atout et devenait funambule par légèreté.

   Lassé du cirque, je me suis exilé à Avignon. J’ai visité le palais, rencontré le pape et sa mule, vanté, face à eux, la confusion des races, le mélange des cultures. La mule était d’accord avec moi.

   J’aimais l’odeur aillée de la ville, sa languide intensité, mes propres attitudes magnifiques sur les remparts. J’aurais voulu qu’un ouragan me transporte aux quatre coins de la terre. J’aurais colonisé tous les esprits et vécu un siècle en chaque homme. L’éternité ne m’aurait pas lassé.

   J’aurais aimé me sentir bien partout, y compris dans ma peau.

Volailles !

Collage JH

Vaille que vaille, marchez volailles, piaillez volailles !

Entrez en musique au poulailler des convenances labellisées. Nus dans la vapeur des marmites, fumeux et déplumés, cous piquetés d’un duvet qui bouge doucement aux courants d’air de l’atelier, tous pareils et dépareillés, étoilés, étiquetés, enchaînés à la chaîne d’abattage. Donnez votre sang de gallinacé pour la gloire des canailles endimanchées !

Pondez volailles pour les besoins du marché qui réclame votre marmaille déculturée ! Le temps est à tondre vos œufs, le temps est à tordre vos cous, à farcir vos peaux de mensonges et de promesses.

Sur les champs de bataille, vaille que vaille, pigeons et cailles, marchez d’un seul cœur au marché des dupes élevés en patrie, en duperies.

Vous n’avez plus de goût, ayez tous le même. Mourez pour la gloire des nantis ! Ils fêteront leur victoire en signant de vos plumes leurs traités de Versailles sur le parchemin de vos dépouilles.

Stanislas Mathis

Présentation des personnages de mon roman « LE RÉVEIL DU CRABE LUNE » (Zonaires éditions)

Aujourd’hui : le psychopathe du roman

1

    Stanislas, les traits déformés par la colère et le mépris, fit un pas vers Claude qui crut qu’il allait le frapper, mais son frère fit brusquement volte-face. Dans le silence qui s’installa, Claude se rassit, considérant fixement le dos de Stanislas, ses muscles contractés sous la veste, sa nuque engoncée dans la masse des épaules. Puis son frère se retourna. Il mordillait nerveusement ses lèvres mauves :

    – Dès que j’ai fini de récupérer tes conneries, je te laisse à ton merdier. Définitivement !

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2

    Stanislas Mathis s’agenouilla. Léa ne bougeait plus.

    – Radical, ton philtre d’amour, Tony.

    Le patron se redressa en s’époussetant les genoux.

    – Bon, il faut se rendre à l’évidence, Leguen plaît aux dames. Elles se coalisent pour l’aider. On aurait dû la brusquer un peu plus l’autre soir, Hippolyte se serait régalé. Franck, tu me dégages des ronces cette caisse merdique. Je vais la fouiller mais je parie qu’on ne trouvera rien. Elle s’est foutue de nous, la Vernier. Toi, Tony, surveille la gisquette.

    – La quoi ?

    – La fille, bordel ! Et remets-la moi sur pieds, on aura besoin d’elle.

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3

   C’est un être violent, extrêmement vulgaire. Ordurier, même. Je connais une collègue qui a subi de lui les pires insultes. Je n’oserais pas les répéter ici.

    Une odeur de cuisine a empli la pièce. Puget était sur le pas de la porte du bureau, tenant à deux mains un saladier de spaghetti :

    – Peut-être qu’il est atteint du syndrome de Tourette.

    Nicole Vernier regarda Puget avec un sourire entendu :

    – Cette maladie ne se limite pas à des propos obscènes, Daniel. Autant que je sache Stanislas n’est pas affublé de tics, ni de troubles vocaux.

    – Pardon, Nicole, mais selon le témoignage d’un de ses anciens employés, il hurle beaucoup et de plus il a des troubles de l’humeur caractéristiques de cette maladie, des crises de rage qu’il ne contrôle pas.

Simon Favenec

Présentation des personnages de mon roman « LE RÉVEIL DU CRABE LUNE » (Zonaires éditions)

Aujourdui Simon, postier, breton et âme secourable

Parfois, les problèmes vous arrivent tous en même temps. Pas des trucs trop graves mais suffisamment pénibles pour vous noircir l’humeur.

    J’étais parti pêcher sur le coup de cinq heures du matin, bien décidé à profiter de mon jour de congé. La mer était calme et la légère brume s’était vite évaporée au soleil levant. Mon canot sentait encore la peinture neuve de son récent ravaudage et le moteur ronronnait d’aise. Tout baignait, si on peut dire.

    La brise était douce à la sortie du port. Je suis passé entre la bouée de la croix et celle du four et j’ai filé au large. J’ai d’abord pêché à la traîne une demi-douzaine de maquereaux et puis j’ai sorti ma canne. En fin de matinée, j’avais ramené un beau sar et un baliste. Celui-là, je m’en méfie. La première fois que j’en ai attrapé un, il m’a bouffé un bon morceau de pouce. C’est bardé de dents, ces machins là. Le sar et lui, on les trouve plutôt en méditerranée, signe que les eaux d’ici se réchauffent.

    Arrivé chez moi, j’ai préparé un bon barbeuc, j’ai vidé deux maquereaux, les ai mis à griller et je suis allé chercher une bouteille de muscadet bien fraîche. Avec une tomate à la croque au sel, ça me faisait un bon repas dégusté à l’ombre du tilleul. C’est à ce moment que ma sœur a débarqué, dans tous ses états. Voilà qu’elle me demande si je sais où est passé Jean, qu’elle a deux mots à lui dire. Je l’écoutais en surveillant mes maquereaux du coin de l’œil mais je la voyais tellement démontée que j’ai fini par les oublier. Je m’en suis souvenu au moment où leur graisse s’est enflammée. J’ai foncé mais c’était trop tard. Cramés les maquereaux ! Et ma sœur continuait à me raconter sa séance avec Jean. J’ai renoncé à mes maquereaux, me promettant d’en préparer deux autres dès qu’elle serait partie. Elle m’a engueulé parce que je ne l’écoutais pas et du coup elle a repris son récit à zéro. Jean n’avait même pas pu dire au revoir à sa fille. Il ronflait comme un sapeur quand elle avait quitté la maison. Le soir, en rentrant, elle avait trouvé une enveloppe posée sur la table basse du salon. À l’intérieur, cinq billets de cent euros. Au dos de l’enveloppe, deux mots : Pour Marie. Cathy était furieuse. Ce salopard ne donne rien depuis des mois et d’un seul coup… C’est quoi cinq cent euros ? Tu sais où le trouver ? Non, je ne savais pas. Jean ne se confiait pas à moi. J’ai omis de lui dire que je l’avais transbahuté dans mon carrosse postal et qu’il avait eu un curieux malaise. J’ai passé au moins une heure à la calmer. Je n’avais plus faim. Je suis monté faire une sieste mais le petit vélo tournait dans ma citrouille et c’est Jean qui pédalait.

Claude Mathis

un personnage essentiel de mon roman « Le réveil du crabe lune » (Zonaires éditions)

Immobile dans l’embrasure de la baie vitrée plongée dans l’obscurité, j’observais Mathis. Je me souvenais de lui plus fort, plus large. C’était donc ça, le maire de Certeuil ? Cet homme voûté précocement, ce bourgeois fatigué flottant dans ses vêtements. Au moins était-il resté fidèle à ses chemises ! Des chemises blanches, taillées sur mesure. Il se vantait d’en changer deux fois par jour. Ne m’avait-t-il pas affirmé, un soir qu’il était en verve, que le seul honneur d’un homme était de mourir dans une chemise propre ? J’ai pensé : corrompu, oui, mais dans un linceul immaculé. Je suivais chacun de ses gestes. Soudain, il a redressé ses épaules. L’angoisse m’emplissait comme un récipient vide.

    L’espace de quelques secondes, figé dans sa position, il a semblé attentif aux bruits de la nuit. Peut-être avait-il détecté ma présence. Il est allé au fond de la pièce. Je ne voyais que son dos devant une bibliothèque imposante. J’ai avancé un peu. Il s’est retourné.

FRANCK SITBON

Présentation des personnages de mon roman « LE RÉVEIL DU CRABE LUNE »

Aujourd’hui : Franck Sitbon, personnage énigmatique, ambivalent….

Son cerveau reconstruisait le puzzle. Voiture déglinguée, profil de la femme et visage bouffi de l’homme : les Dominguez. Gigi et Manuel, les parents de Lucas qui venait de se tuer en moto. Sitbon aurait dû faire le rapprochement quand Mathis lui avait donné le nom du jeune. Manuel s’approcha, Sitbon se raidit, sur ses gardes. Manuel avait trouvé son adresse…     Dominguez se posta en face de lui, debout, les bras ballants, les épaules tombantes, sans animosité. Sitbon essaya de fixer le père éploré dans les yeux puis y renonça. La femme avait baissé la vitre de leur voiture et les observait. Manuel avait pris au moins cinquante kilos depuis que Sitbon l’avait perdu de vue. A quinze ans, il méritait déjà l’attention des services sociaux, mais les secours n’étaient jamais arrivés. Il tendit une main molle que Sitbon serra, le cœur soulevé par la gêne. Oui, il reconnaissait ce bon vieux Manuel.     – Bien sûr que je me souviens.    Toujours prêt à la rigolade… et à accepter sans broncher les coups de pied au cul, pensa-t-il entre dégoût et compassion. Dominguez raconta ce qui était arrivé à son fils, pleura. Sitbon lui exprima ses regrets. Entre deux sanglots, Manuel dit à Sitbon ce qu’il attendait de lui : avoir un rendez-vous avec Claude Mathis ! Il répéta sa demande une bonne dizaine de fois.     – Le Maire, il faut que je le voie, tu comprends, il faut…    Sitbon finit par lui dire qu’il essaierait d’arranger ça, que ce n’était pas simple, un homme aussi occupé. Qu’il n’avait qu’à lui téléphoner d’ici deux jours, puis le prenant à l’épaule, il réussit enfin à le guider jusqu’à sa Mondéo, en l’assurant qu’il parlerait au maire.     Manuel Dominguez remonta dans son épave. Sitbon ne lui avait même pas donné son numéro de portable. Il n’avait rien trouvé à lui dire, sorti des condoléances. Pas un seul mot de réconfort non plus pour la mère de Lucas qui attendait humblement. Gigi la fidèle. Manuel la fréquentait depuis qu’il était ado.   Sitbon attendit sur le trottoir jusqu’à ce que leur voiture s’estompe dans la bruine.  

PIETRO PERI

Présentation des personnages de mon roman « LE RÉVEIL DU CRABE LUNE »

Aujourd’hui: Pietro PERI, un ami de Jean Leguen retrouvé après 20 ans d’absence

Le camion de Pietro

Le CAP 10 piloté par Pietro sillonnait le ciel uniformément bleu. En me penchant, je voyais l’ombre de l’avion glisser sur les champs de la plaine briarde. Pietro, qui aimait faire partager sa passion, m’avait tanné pour m’offrir une séance de voltige. Gentille pour un début, avait-il promis. Il n’y avait que deux places dans l’appareil ce qui arrangeait bien Léa. Elle avait déjà eu droit à ce genre de séance et son estomac n’avait pas apprécié. J’ai commencé à avoir des craintes quand Pietro m’a arrimé à mon siège en me ficelant comme un rôti, bien serré.

    Après une virée vers le château de Vaux-le-Vicomte, il m’a annoncé qu’on volait à 2500 pieds d’altitude, ce qui ne me disait rien du tout.

    –  C’est parti pour une vrille, a-t-il annoncé, concentré sur le manche.

    L’avion a brutalement décroché en virevoltant. La tête me tournait. Je crispais les mains sur le bord de mon siège. Le CAP 10 à viré puis s’est stabilisé à l’horizontale. Pietro m’a regardé.

    – Deux tours, c’est assez pour une première fois, on passe à la suite.

    L’avion est remonté brutalement. Il a décroché en virage et on s’est retrouvé sur le dos. J’ai tout simplement eu peur, une frousse incontrôlable. J’ai fermé les yeux. L’avion a repris de l’altitude. Pietro pilotait comme si je n’étais pas là. Il s’encourageait :

    – Et on termine par un décrochage de la mort !

    Il a coupé les gaz, le moteur s’est arrêté et nous avons dévissé dans un sifflement d’air.

    Là, j’ai vraiment perdu conscience. Quand je suis revenu à moi, le moteur ronflait à nouveau. Le Cap 10 volait à l’horizontale. Pietro semblait bien s’amuser.

    – Tu tiens le coup ? Tu as eu le voile noir au moment où j’ai décroché, hein ? Personne n’y échappe.

    Le cœur au bord des lèvres, je lui ai lancé un regard assassin.

    – Tu m’avais parlé d’une voltige tranquille. Tu veux me dégoûter de l’avion ? Si je m’en sors, je t’emmène en mer un jour de tempête !

    – La mer, c’est trop près de la terre. Voler, c’est différent, ça purge. L’altitude donne de la hauteur !

JEAN LEGUEN

Présentation des personnages de mon roman « LE RÉVEIL DU CRABE LUNE »

Aujourd’hui, le personnage principal.

Montage JH

    Je roulais vers le port quand je l’ai aperçu. Il marchait, chemise déboutonnée, tête baissée. D’où venait-il ?

     Auréolé par la lumière de juin, il ignorait la beauté du paysage : l’océan qui miroitait entre les maisons, l’île de Groix affleurant à l’horizon, nimbée d’une brume légère. Il n’a pas semblé entendre mon coup de klaxon. Grand, le corps flexible… Il était beau. Beau et impossible à vivre. Un vrai crabe qui avançait en diagonale dans la relation, toujours prêt à se réfugier dans sa tanière au premier geste mal interprété ou faisant front, les poings brandis. 

     J’ai stoppé la Kangoo à sa hauteur. Il m’a adressé un de ses rictus aussitôt disparu dans un serrement de mâchoires. Il s’est penché par la vitre entrebâillée de la fourgonnette. Une mèche noire filée de gris a balayé son regard bleu.

    – Salut, catcheur ! a-t-il dit, faussement enjoué.

    Il se foutait de ma passion pour la lutte bretonne. J’ai ignoré son ironie.

    – Je viens de chez toi. Où tu étais passé ? On s’inquiétait ?

    – C’est qui, on ?

    – Nous, ta famille, tes amis…

    Il a écarté les bras en s’efforçant de conserver son équilibre. Alcoolisé, j’ai pensé.

    – Ben, je suis vivant ! Je te vois, tu me vois, on se voit.

    –  Arrête tes conneries ! Marie te demande. Six ans, c’est un âge où….

    – Ça te regarde, ma vie ?

    – Tu iras quand la gamine aura son bac, c’est ça ?

    Il a claqué le toit de la Kangoo des ses deux mains. Je m’en suis  extirpé.

    Je m’apprêtais à lâcher une belle tirade mais en croisant son regard, j’y ai renoncé.

    – Oh, et puis à quoi bon ! Je suis bien con de m’en faire.

    – Le scoop ! Pourquoi vous ne me foutez pas la paix, tous ?

    Je suis remonté dans la fourgonnette, j’ai démarré en trombe et j’ai stoppé cinquante mètres plus loin. La marche arrière a grincé, j’ai  pilé près de lui et j’ai baissé la vitre.

    – Allez… monte, je te raccompagne.

   Il a bougonné en montant près de moi. Bien content, sans doute, de s’épargner le kilomètre à pied qui lui restait à parcourir.

    J’ai poursuivi mon plaidoyer, en imbécile pur jus :

    – Faut toujours que tu te braques ! Dans la famille, personne ne t’en veut. Toi et Cathy, ça ne marche pas, et alors ? Le père aimerait bien que tu viennes l’aider à faire les foins. Ça lui rendrait service et tu te ferais un peu de thune. T’es libre en ce moment ?

    – Libre comme l’air, pollué comme lui… Laisse tomber avec Cathy.

    – L’air d’ici ? C’est le plus pur du monde !

    – Grâce aux  élevages de cochon, aux nitrates, aux pesticides, à je ne sais quoi encore.

    – Pollué ? En bord de mer ?

    – L’air, l’eau, le pastis, tout !

    Je me contenais, essayant de revenir à des propos sensés.

    – Ce qu’il te faudrait, c’est un vrai boulot. Pas des trucs de saisonnier. Ça te plaît d’aller te faire exploiter en Beauce ou ailleurs ? Quel gâchis !

    – Qui te dit que je vais en Beauce ?

    – C’est toi qui…

    – Tu crois ce que je te raconte ?

    À quoi bon discuter avec un ivrogne. Et pourtant je persévérais

    – Tu n’as pas envie d’avoir une vie plus agréable ?

    Paupières closes, il a laissé aller sa nuque contre le fauteuil.