
Dessin lent de la mémoire
image instantanée de l’oubli
L’œil arrêté
seul verra le geste
Tout dessin est danse
toute danse chemin
Dessin lent de la mémoire
image instantanée de l’oubli
L’œil arrêté
seul verra le geste
Tout dessin est danse
toute danse chemin
Mes bras de laine
musclent leur amour
pour choyer ta peine
l’endormir
la distraire
la murer en son monastère
Au matin
éveille-toi sans mémoire
Que tes paupières
d’un battement d’aile
libèrent la beauté
retranchée en ton cœur
Le fort babil des hommes
nous réveille tôt
Au faite du toit
ils cueillent les tuiles du ciel
de leurs mains durcies
Deux tourterelles miroirs
joignent leur bec
Posées sur la grue immobile
elles narguent le soleil
confiantes en leur perchoir
Ton hiver laisse sa fièvre sur la buée des vitres
La rue fuit en lanières de pluie
L’eau des fontaines jaillit
traits de marbre
Une musique lente
belle à boire
tourne avec le vent
Tes lèvres ont le goût des vitres froides
L’arbre du veilleur, symbole de renouveau….(nous en avons bien besoin)
Le vieil amandier
se moque de ses racines
prises dans l’hiver
Avant-garde du printemps
il déploie son rire blanc
contre l’acier du ciel
Je fais un détour
pour voir le gros de la troupe
Cinq mille arbres pas un de moins
au creux du vallon
font la nique
aux neiges du Verdon
Tu avais bâti mon dos
mes épaules
tissé ma peau
tendu mon ventre sur mes os
Rien ne t’est resté
Je suis le voleur de ma propre vie
Tu n’as pu ni voulu me suivre
même des yeux
Parti
Sans laisser d’adresse
Qu’arrive-t-il à celui qui revient
Rien
Dans une rue
le parfum L’air du temps
un verre d’alcool vert
importé des caves de nos mémoires
des mots durs et justes
Tout
Mes racines couvrent le sol
sans terre sans mère
Peu importe les mondes oubliés
nous sommes ici arrivés
au seul endroit de la vie
le lieu du retour
Enfants affamés de félicité
malgré le deuil des illusions
Quelle est cette perdition
cet abandon
cette saturation de soi-même
Dans la figure de la déesse
brille la trahison
comme seul signe du monde
Les passions sont injustes
et mal partagées
Enfants laminés par les machines
aveugles et fous sortons des routes tracées
Naître
enfant du bagne
féroce et blessé
animal boueux
perdu
souillé
ressentir
l’air de la folie
euphorique de noirceur
d’éducation chrétienne
Être
le mal absolu
halluciné
proscrit parmi les rêveurs
appâter
les requins
de son propre cadavre
en formation
apprendre
la révolte
contre l’ordre
et la loi des origines
devenir
ce que les puissants
ne voulaient pas que tu sois
libre et fraternel
En me souvenant des « 807 » de Franck Garrot d’après une idée d’Eric Chevillard
807
8 balles dans la peau, à bout portant.
0 chance de s’en tirer.
7 blessures mortelles sur 8.
807 dollars pour le tueur, la prime réglementaire. Minable !
8 agents du contre espionnage embusqués autour du motel.
0 issue.
7 coups de matraque pour neutraliser le tueur.
807 km en fourgon pour le conduire à la prison spéciale.
8 minutes de délibération lors du procès.
0 circonstance atténuante.
7 jurés sur douze votent la mort du tueur par injection létale.
807 jours dans une cellule à attendre le jour fatidique.
A 8h07, juste avant son entrée dans la salle d’exécution, l’agent 807 se dit que tout était écrit. Calculé !
La pluie cesse.
Au fil de la route, le miel des foins coupés, la senteur chauffée des troènes invitent à la sieste. Je n’ai jamais su m’arrêter. Je conduis machinalement, perdu dans mes pensées. Les kilomètres défilent. Le 482 ème meurt sur le cadran.
Île-de-France. Banlieues… Lacis des routes et des échangeurs. Je m’y perds. Le béton colmate le paysage.
La ville s’alanguit dans les rayons roses du couchant, grouillante, percée de meurtrières, hachée de passerelles, lacérée par le bistouri des voies express.
Elle fuit en perspectives vertigineuses : jetées de béton sans fin, rails de néon, sirènes hurlantes, hypermarchés, jumbo-jets sillonnant le ciel qui vire au violet, à l’est entre les méga tours. Paquebots métal et verre, surplombs, voies souterraines, feux clignotants, policiers en ribambelles, gyrophares, ambulances forçant le trafic.
Panneaux publicitaires, corridor hérissé de couleurs. Eblouissement.
Les chaussées se divisent, se superposent, se multiplient. Les perspectives se pénètrent, se chevauchent.
Le vertige ouvre ses parois verticales.
Respirer ! Respirer !
Des arcs électriques pulsent sous mes paupières. Je ne vois plus rien.
Corps absent. Gestes automatiques.
Un zigzag de magnésium vibrionne dans un coin de mon œil gauche, obscurcit peu à peu mon champ de vision.
La migraine grimpe l’échelle de ma colonne vertébrale.
Le moteur cale.
Je ne bouge plus, les mains sur les yeux, la tête sur le volant. Absent…
Du fond de mon cerveau, j’observe l’orage qui, lentement, fuit au fond de mon œil.
Peu à peu, Je retrouve la vue.
J’examine mon teint sale dans le rétroviseur. Sale comme les façades qui me dominent, gris comme le passant qui m’observe depuis le trottoir.
Nuque raide, nerf optique vrillé, je redémarre.
Je me répète mon nom. Tout mon être s’y accroche.
Ma voix me redevient familière : Calme-toi, calme-toi ! Ce n’est que le monde tel qu’il va et tu n’es rien. Pas de quoi paniquer…
Soutiers de tous les pays…
Le pauvre est trop nombreux et devient encombrant. Le système n’a plus besoin de ses bras inutiles. Il faut l’affamer, l’éliminer, il ne rapporte rien, il coûte, il réclame, il se révolte (rarement) L’éradication programmée de cette masse indistincte prend de l’ampleur malgré les campagnes de charité – il faut tout de même sauver les apparences. A mort le pauvre ! Volons ses terres agricoles pour produire l’éthanol, ravageons ses forêts pour y cultiver les palmiers à huile, raflons ses terres arides aux riches sous-sols. Ne gardons qu’une masse nécessaire de soutiers exotiques maintenus en survie à la limite de leurs forces, incapables de révolte. Intégrons les mieux bâti, les plus affamés ou les plus serviles dans la police et l’armée (privée de préférence) sans trop les nourrir pour qu’ils conservent leur capacité de carnage et de pillage. Maintenons cependant un petit cheptel de pauvres, pour l’exemple. Qu’on les voit morts de froids dans les rues, en file à la soupe populaire, crevards et résignés sous leurs baraques de cartons ! Ils sont un avertissement pour ceux qui aurait la tentation de crier à l’injustice, une promesse pour ceux qui oublieraient leur rang de soumis, une réserve de bras bon marché.
La démocratie n’est-elle qu’un piédestal au consumérisme, un alibi moral pour les puissants insatiables ? A croire qu’ils ont des milliers de vies, ces nababs, qui devraient vivre éternellement pour pouvoir dilapider leur trop plein de richesses et de vices. Comme ils sont persévérants ces pilleurs de vie, ces sociopathes acharnés à rester les derniers vivants sur une planète détruite par leur insatiabilité, leur cupidité. Ah, prendre son bain dans une baignoire en marbre dont les robinets d’or crachent du lait d’ânesse ou du sang de jeunes vierges ! Manger religieusement le dernier ortolan…
Que faire des quelques rêveurs qui de par le monde croient encore échapper au grand décervelage médiatique et agiter les foules ? Les puissants s’impatientent. Ils alimentent la chaudière qui, peu à peu chauffe l’eau de notre quotidien. Nous serons cuits avant de nous en rendre compte si on n’éteint pas le feu sous la casserole. D’une manière ou d’une autre.
Du recueil « Patience du sable »
Les choses commencent un jour ou l’autre
Ne relève pas la tête
le trajet est périlleux
Ta maladresse prouve ta sincérité
Apprend
Ose la perfection
Ris
Cache tes attirances incertaines
Effraye les médiocres
ou deviens-le
Les choses continuent
Ne disparais pas tout de suite
pas sans aimer la nuit
la vitesse
l’alcool
Il faut vaincre
mais quoi
Bouscule les aînés
Trouve la distance
Va à l’essentiel
De temps en temps
plus ou moins
aime
Les choses s’étiolent
Les convictions s’effacent
Plus question de s’émouvoir
Sois désinvolte
ironique
pathétique
un peu
Deviens superflu
Une chanson prémonitoire de (1977) de Jacques Bertin à écouter ICI
et plus bas le texte …
Dans un bureau conditionné, peut être, il y aura eu
Une défaillance dans le calcul du compte des denrées
Ou une maladie balancée dans la chaîne alimentaire
Par un comptable sans pouvoir
Il suffira d’une avarie presque minime pour que se casse
Une extrêmement flexible tige ou un miroir
Il suffira d’un signe dans le ciel, un oiseau immobile
Ou trois fois rien de différent dans l’intime de l’air
Ce sera vers midi et se fera un grand silence
Et tout de suite on entendra un cri de femme long
Comme sorti d’une voiture accidentée dans un décor de pluie
On vous aura annoncé votre mort à la télévision
Il sera aussitôt et simplement trop tard
Trop tard pour tout, pour la colère et pour le cri
Trop tard pour la fuite et trop tard pour la révolte
Trop tard pour le dernier bateau et pour la lutte et pour la vie
La lumière s’éteint partout, des téléphones sonnent
Il souffle un joli vent vénéneux dans les hôpitaux déserts
Vous vous trouvez atteint par grappe et vous mourrez
Une réaction incontrôlable propage un gaz dans le ciel vert
La misère lève son mufle et vous vous jetez sur les routes
Pour la grande scène de l’exode qui cette fois finira mal
Il n’y a plus de refuge au bout de la route, plus de route
Plus de sens de la marche, plus de marche à suivre, plus de sens
Vous allez de plus en plus vite, certainement
A Lyon ou à New York, dans de grands avions impassibles
Que lancent depuis des chapelles aseptiques des voies fabriquées
La misère, vous la visitez en club dans des pays exotiques
Dans les appartements bourgeois qui ont l’allure des scènes de théâtre
Ou tout passe par le filtre du velours et de la convention
On manie l’argenterie, le mot d’esprit, le capital
Et le concept et surtout sans jamais presque hausser le ton
La bourgeoisie règne en papier crépon sur son royaume
Sûre d’elle même, de sa technologie, de ses oreilles de coton
On ne sait pas trop où l’on va mais qu’importe,
Quand on accroche sur le rôle, on improvise et à Dieu vat
Les mots sont vides que vous récitez, le théâtre
Donnent dans les gréements sur le ciel peint en haut
C’est une sorte de bateau-fantôme qui a dans ses cales
Quelques petits milliards de nègres qui ont peur
Monde factice, O monde sans raison, monde fragile
O, qui vit follement de sa fragilité
Qui trouve dans sa fuite un certain relatif équilibre
Et l’abîme comme un ventre attire les fous qui vont s’y damner
Monde captif, O monde sans amour, monde fragile
Brave gens qui vous êtes laissé drainer
Je veux répandre la terreur comme une marée patiente
Il reste peu de temps pour sauver le monde et vous sauver
Il reste peu de temps pour la sainte colère
Je vous vois comme un cheval aux jambes brisées
Les yeux fous qui cherchent à se lever, qui cherchent une aide
Dans le ciel vide autour de lui qui tourne et dans sa tête emballée
Peuple, ah vous ne croyez plus beaucoup à l’amour ni à l’insolence
Si je dis peuple pourquoi derrière vous, vous vous tournez
Quel est celui que par ce vocable suranné je désigne ?
La révolte vous semble affaire de maniaque ou d’enfant gâté
Mais il y a comme une sale maladie dans la joie
Comme une crise de confiance den la qualité de l’eau du robinet
Peut être que les fruits du cœur sont traités, il y aura toujours un doute
Tout d’un coup le soupçon s’installe et vous voilà parcourus par la frousse
Terreur, je veux, Terreur, je veux répandre
Comme un apport de sang dans l’organisme fatigué
Guerres saintes partout, on vous avait confié des armes
Qu’en avez-vous fait, souvenez-vous, qu’en avez-vous fait ?
Dîtes, qu’avez vous fait de la parole qui est une braise ardente
On la prend à pleine main, on porte le feu
Dans les terres épuisées, dans les mauvaises blessures
Dans les mauvais sommeils ou sur les yeux des gens qu’on veut aimer
Je vais porter la guerre dans les journaux, chez le vieil humanisme
Là qui s’avachit dans l’eau stagnante des chroniques et des marais
Des petits féodaux, le parapet vous n’y passez surtout jamais la tête
On trahit gentiment derrière les sacs du courrier des lecteurs entassé
Il nous faut des porteurs de paroles avec des chenilles d’acier dans la tête
Pour conduire dans les vallées ce peuple hagard de jeunes gens
Dieu les protège et Dieu les guide et Dieu les aime
Ils ont ployé le vieux monde corrompu d’un buisson brûlant
Parole, pour porter des coups, parce qu’il est grand temps de parole
La vérité, la vérité, comme si la vie en dépendait
Parole, pour ouvrir un territoire avec des blessures fertiles
O Paroles, avant que ne s’avance la saison
Demain, il y a un virus fabriqué par hasard,
Les bateaux qui n’arrivent plus
Une ampoule qui claque à la régie finale
Une bombe de trop dans le magma central
Je vous dis qu’il est temps, ce monde est dans ce carnet qu’on referme
D’un geste las et qu’on écrase comme un cœur
Regardez s’envoler votre dernier bel avion magnifique
Il s’en va errer dans la banlieue des pourquoi-comment
Ce monde, on l’oubliera, dites-vous bien, très vite
Comme dans un éphéméride, un chiffre parmi cent
Ce monde est déjà rien de plus qu’un graphisme misérable
Dans quoi, l’œil et la raison cherchent ce qu’on pouvait y trouver
Maintenant que le livre se ferme, sentez ce vide capital
Le ciel est désert, la terre bruit de cris désaccordés
Que se lèvent ici, ceux qui ont de l’esprit pionnier dans la tête
Il va falloir dès ce soir tout recommencer…
Certains matins
le vide du monde
chevauche la brume
au-dessus des prairies
L’étau interne
exprime le jus de vie
la sauce intime
Tuer se tuer
c’est donc plus simple
que chercher un amour
même de rien
Un simple petit chagrin
larme sanglot reniflement
serait bénédiction
Par nos pleurs
les rivières de notre âme
renaîtraient à leur source
Égorge la muette méduse
lovée en ton sein
Tes mots bientôt
ne suffiront plus
à noyer ses mille têtes
Ne pas redonner vie aux bourreaux en parlant d’eux à l’heure où nous devrions les oublier.
J’ai besoin de solitude
pour mieux vous retrouver
pour effacer de nos yeux
les habitudes nocturnes et diurnes
les embrassades posthumes
Vous voyagez la nuit
entre une caresse improbable
et cette sonnerie ponctuelle
Au matin vous savez le vide
Votre vie se tient là
comme la mienne
à cheval sur l’abstrait
Le froid de l’aube
nous rapproche parfois
Fronts appuyés sur la vitre
Nos haleines ne mêlent pas leursbuées
Des souvenirs d’avant la vie
tissent entre nous d’invisibles murailles
d’infranchissables murs d’air
Nos rêves tendent les câbles
dans notre dos
retiennent l’élan de nos corps
J’ai besoin de solitude
pour forger les cisailles
pour vous rejoindre sans heurt
fêter les retrouvailles
avant la fin de notre heure
Le silence bruit de nos cris muets
de nos paroles aveugles
Le temps empli ses sabliers du sel de nos rêves
et nous laisse au soir
noyés sur les grèves
Le ressac nous brise
brode nos âmes d’écume grise
Nos corps gisent lavés par les lames
les yeux percés d’éclats nacrés
J’ai besoin de solitude
pour arpenter le chemin inverse
trouver le silex éveilleur d’étincelles
J’ai besoin de m’y blesser
pour transfuser votre corps
pénétrer votre chair
être planète de vos atomes
incendier vos rêves
casser
les aiguilles de givre
du grand chronomètre
Dans ma nuit de tous les jours
Je porte ton image floue
au bord des rues du monde
des mondes passants
transparences fermées dans leurs costards
Klaxons
indifférence
Je vais par les regards
sans rire
sans voir sous les ciels couvercles
les ailes néons du boulevard
J’oublie mes êtres de poussière
les vieux appels
Sourds ma source
trouve le cours de mon dédale
Remonte l’écheveau de mon apocalypse
Que ton vent solaire éparpille mes abeilles
d’os et de chair
Que tes rivières secrètes accueillent la pluie acide
de ma lumière morcelée
Rejaillit ma source
de tes terres douces
Le temps pleut
La vie éclabousse
Mes animaux doux
aux yeux d’énigme
d’où veniez-vous
Où êtes-vous
Girafes aux jambes d’herbe
muettes au trop long cou
Mouettes au long cours
Et vous mes ours tranquilles
aux mains de miel
En quel sommeil
nous aimions-nous
Eh, les deux grands bœufs aux sabots de boue
Quelle chanson nous vit peiner
au creux d’un labour lourd
Et vous mes chenilles de soie
Quel cocon nous protégea
Qui donc dévida notre écheveau
pour tisser sa robe de noce
Cheval des vents
petit cheval blanc
toujours devant
souviens-toi du trèfle sucré
Nous y dormions debout
appuyés sur l’air
Mes agneaux de lait
petits frères de laine
quelles tétines d’étoiles
tétions-nous sous la voie lactée
Vous les éphémères
Quelle seconde parfumée
nous parut un siècle
et vit notre chute sous la lampe
Toi le taureau rouge
notre sang comète
quelle banderille glacée
le fit jaillir
et rouler mercure sur la poussière
Quelle clameur mourut avec nous sous l’astre blanc
Souviens-toi nos coups de cornes contre les vantaux fermés
Vers quelle ellipse glissons-nous sans fin
Ce coup au cœur
du recueil « Patience du sable »
Cellule oubliée des vents
Une bougie épinglée sur la nuit
isole notre atoll perché
La nuit
rivière aux étoiles
allaite les montagnes
nourrit de bleu
l’espace entre nous préservé
Et une chanson de Richard Desjardin en prime : Va t’en pas
L’intelligence de celui qui subit : faire avec ce qui lui arrive et créer sa forêt de signes avec les flèches et les lances qui le transpercent.