Repose-toi

Dessin à la plume (J.H)

Mes bras de laine

musclent leur amour

pour choyer ta peine

l’endormir

la distraire

la murer en son monastère

Au matin

éveille-toi sans mémoire

Que tes paupières

d’un battement d’aile

libèrent la beauté

retranchée en ton cœur

Matin

Collage

Le fort babil des hommes

nous réveille tôt

Au faite du toit

ils cueillent les tuiles du ciel

de leurs mains durcies

Deux tourterelles miroirs

joignent leur bec

Posées sur la grue immobile

elles narguent le soleil

confiantes en leur perchoir

Amandiers

L’arbre du veilleur, symbole de renouveau….(nous en avons bien besoin)

Le vieil amandier

se moque de ses racines

prises dans l’hiver

Avant-garde du printemps

il déploie son rire blanc

contre l’acier du ciel

Je fais un détour

pour voir le gros de la troupe

Cinq mille arbres pas un de moins

au creux du vallon

font la nique

aux neiges du Verdon

Le seul endroit

Crayons de couleurs (J.H)

Tu avais bâti mon dos

mes épaules

tissé ma peau

tendu mon ventre sur mes os

Rien ne t’est resté

Je suis le voleur de ma propre vie

Tu n’as pu ni voulu me suivre

même des yeux

Parti

Sans laisser d’adresse

Qu’arrive-t-il à celui qui revient

Rien

Dans une rue

le parfum L’air du temps

un verre d’alcool vert

importé des caves de nos mémoires

des mots durs et justes

Tout

Mes racines couvrent le sol

sans terre sans mère

Peu importe les mondes oubliés

nous sommes ici arrivés

au seul endroit de la vie

le lieu du retour

Enfants

Dessin à la plume (J.H)

Enfants affamés de félicité

malgré le deuil des illusions

Quelle est cette perdition

cet abandon

cette saturation de soi-même

Dans la figure de la déesse

brille la trahison

comme seul signe du monde

Les passions sont injustes

et mal partagées

Enfants laminés par les machines

aveugles et fous sortons des routes tracées

ÊTRE

Équilibre – huile sur carton

Naître

enfant du bagne

féroce et blessé

animal boueux

perdu

souillé

ressentir

l’air de la folie

euphorique de noirceur

d’éducation chrétienne

Être

le mal absolu

halluciné

proscrit parmi les rêveurs

appâter

les requins

de son propre cadavre

en formation

apprendre

 la révolte

 contre l’ordre

 et la loi des origines

devenir

ce que les puissants

ne voulaient pas que tu sois

libre et fraternel

807

En me souvenant des « 807 » de Franck Garrot d’après une idée d’Eric Chevillard

Acrylique sur toile (Joël Hamm)

807

8 balles dans la peau, à bout portant.

0 chance de s’en tirer.

7 blessures mortelles sur 8.

807 dollars pour le tueur, la prime réglementaire. Minable !

8 agents du contre espionnage embusqués autour du motel.

0 issue.

7 coups de matraque pour neutraliser le tueur.

807 km en fourgon pour le conduire à la prison spéciale.

8 minutes de délibération lors du procès.

0 circonstance atténuante.

7 jurés sur douze votent la mort du tueur par injection létale.

807 jours dans une cellule à attendre le jour fatidique.

A 8h07, juste avant son entrée dans la salle d’exécution, l’agent 807 se dit que tout était écrit. Calculé !

Vertige

Dessin crayons de couleurs

La pluie cesse.

Au fil de la route, le miel des foins coupés, la senteur chauffée des troènes invitent à la sieste. Je n’ai jamais su m’arrêter. Je conduis machinalement, perdu dans mes pensées. Les kilomètres défilent. Le 482 ème meurt sur le cadran.

Île-de-France. Banlieues… Lacis des routes et des échangeurs. Je m’y perds. Le béton colmate le paysage.

La ville s’alanguit dans les rayons roses du couchant, grouillante, percée de meurtrières, hachée de passerelles, lacérée par le bistouri des voies express.

Elle fuit en perspectives vertigineuses : jetées de béton sans fin, rails de néon, sirènes hurlantes, hypermarchés, jumbo-jets sillonnant le ciel qui vire au violet, à l’est entre les méga tours. Paquebots métal et verre, surplombs, voies souterraines, feux clignotants, policiers en ribambelles, gyrophares, ambulances forçant le trafic.

Panneaux publicitaires, corridor hérissé de couleurs. Eblouissement.

Les chaussées se divisent, se superposent, se multiplient. Les perspectives se pénètrent, se chevauchent.

Le vertige ouvre ses parois verticales.

Respirer ! Respirer !

Des arcs électriques pulsent sous mes paupières. Je ne vois plus rien.

Corps absent. Gestes automatiques.

Un zigzag de magnésium vibrionne dans un coin de mon œil gauche, obscurcit peu à peu mon champ de vision.

La migraine grimpe l’échelle de ma colonne vertébrale.

Le moteur cale.

Je ne bouge plus, les mains sur les yeux, la tête sur le volant. Absent…

Du fond de mon cerveau, j’observe l’orage qui, lentement, fuit au fond de mon œil.

Peu à peu, Je retrouve la vue.

J’examine mon teint sale dans le rétroviseur. Sale comme les façades qui me dominent, gris comme le passant qui m’observe depuis le trottoir.

Nuque raide, nerf optique vrillé, je redémarre.

Je me répète mon nom. Tout mon être s’y accroche.

Ma voix me redevient familière : Calme-toi, calme-toi ! Ce n’est que le monde tel qu’il va et tu n’es rien. Pas de quoi paniquer…

Soutiers de tous les pays…

Dessin aux crayons de couleurs

Soutiers de tous les pays… 

   Le pauvre est trop nombreux et devient encombrant. Le système n’a plus besoin de ses bras inutiles. Il faut l’affamer, l’éliminer, il ne rapporte rien, il coûte, il réclame, il se révolte (rarement) L’éradication programmée de cette masse indistincte prend de l’ampleur malgré les campagnes de charité – il faut tout de même sauver les apparences. A mort le pauvre ! Volons ses terres agricoles pour produire l’éthanol, ravageons ses forêts pour y cultiver les palmiers à huile, raflons ses terres arides aux riches sous-sols. Ne gardons qu’une masse nécessaire de soutiers exotiques maintenus en survie à la limite de leurs forces, incapables de révolte. Intégrons les mieux bâti, les plus affamés ou les plus serviles dans la police et l’armée (privée de préférence) sans trop les nourrir pour qu’ils conservent leur capacité de carnage et de pillage. Maintenons cependant un petit cheptel de pauvres, pour l’exemple. Qu’on les voit morts de froids dans les rues, en file à la soupe populaire, crevards et résignés sous leurs baraques de cartons ! Ils sont un avertissement pour ceux qui aurait la tentation de crier à l’injustice, une promesse pour ceux qui oublieraient leur rang de soumis, une réserve de bras bon marché.

   La démocratie n’est-elle qu’un piédestal au consumérisme, un alibi moral pour les puissants insatiables ? A croire qu’ils ont des milliers de vies, ces nababs, qui devraient vivre éternellement pour pouvoir dilapider leur trop plein de richesses et de vices. Comme ils sont persévérants ces pilleurs de vie, ces sociopathes acharnés à rester les derniers vivants sur une planète détruite par leur insatiabilité, leur cupidité. Ah, prendre son bain dans une baignoire en marbre dont les robinets d’or crachent du lait d’ânesse ou du sang de jeunes vierges ! Manger religieusement le dernier ortolan…

   Que faire des quelques rêveurs qui de par le monde croient encore échapper au grand décervelage médiatique et agiter les foules ? Les puissants s’impatientent. Ils alimentent la chaudière qui, peu à peu chauffe l’eau de notre quotidien. Nous serons cuits avant de nous en rendre compte si on n’éteint pas le feu sous la casserole. D’une manière ou d’une autre.

Superflu…

Du recueil « Patience du sable »

Les choses commencent un jour ou l’autre

Ne relève pas la tête

le trajet est périlleux

Ta maladresse prouve ta sincérité

Apprend

Ose la perfection

Ris

Cache tes attirances incertaines

Effraye les médiocres

ou deviens-le

Les choses continuent

Ne disparais pas tout de suite

pas sans aimer la nuit

la vitesse

l’alcool

Il faut vaincre

mais quoi

Bouscule les aînés

Trouve la distance

Va à l’essentiel

De temps en temps

plus ou moins

aime

Les choses s’étiolent

Les convictions s’effacent

Plus question de s’émouvoir 

Sois désinvolte

ironique

pathétique

un peu

Deviens superflu

Menace

Une chanson prémonitoire de (1977) de Jacques Bertin à écouter ICI

et plus bas le texte …

Cracked glass

Dans un bureau conditionné, peut être, il y aura eu
Une défaillance dans le calcul du compte des denrées
Ou une maladie balancée dans la chaîne alimentaire
Par un comptable sans pouvoir
Il suffira d’une avarie presque minime pour que se casse
Une extrêmement flexible tige ou un miroir
Il suffira d’un signe dans le ciel, un oiseau immobile
Ou trois fois rien de différent dans l’intime de l’air
Ce sera vers midi et se fera un grand silence
Et tout de suite on entendra un cri de femme long
Comme sorti d’une voiture accidentée dans un décor de pluie
On vous aura annoncé votre mort à la télévision

Il sera aussitôt et simplement trop tard
Trop tard pour tout, pour la colère et pour le cri
Trop tard pour la fuite et trop tard pour la révolte
Trop tard pour le dernier bateau et pour la lutte et pour la vie
La lumière s’éteint partout, des téléphones sonnent
Il souffle un joli vent vénéneux dans les hôpitaux déserts
Vous vous trouvez atteint par grappe et vous mourrez
Une réaction incontrôlable propage un gaz dans le ciel vert
La misère lève son mufle et vous vous jetez sur les routes
Pour la grande scène de l’exode qui cette fois finira mal
Il n’y a plus de refuge au bout de la route, plus de route
Plus de sens de la marche, plus de marche à suivre, plus de sens

Vous allez de plus en plus vite, certainement
A Lyon ou à New York, dans de grands avions impassibles
Que lancent depuis des chapelles aseptiques des voies fabriquées
La misère, vous la visitez en club dans des pays exotiques
Dans les appartements bourgeois qui ont l’allure des scènes de théâtre
Ou tout passe par le filtre du velours et de la convention
On manie l’argenterie, le mot d’esprit, le capital
Et le concept et surtout sans jamais presque hausser le ton
La bourgeoisie règne en papier crépon sur son royaume
Sûre d’elle même, de sa technologie, de ses oreilles de coton
On ne sait pas trop où l’on va mais qu’importe,
Quand on accroche sur le rôle, on improvise et à Dieu vat

Les mots sont vides que vous récitez, le théâtre
Donnent dans les gréements sur le ciel peint en haut
C’est une sorte de bateau-fantôme qui a dans ses cales
Quelques petits milliards de nègres qui ont peur
Monde factice, O monde sans raison, monde fragile
O, qui vit follement de sa fragilité
Qui trouve dans sa fuite un certain relatif équilibre
Et l’abîme comme un ventre attire les fous qui vont s’y damner
Monde captif, O monde sans amour, monde fragile
Brave gens qui vous êtes laissé drainer
Je veux répandre la terreur comme une marée patiente
Il reste peu de temps pour sauver le monde et vous sauver

Il reste peu de temps pour la sainte colère
Je vous vois comme un cheval aux jambes brisées
Les yeux fous qui cherchent à se lever, qui cherchent une aide
Dans le ciel vide autour de lui qui tourne et dans sa tête emballée
Peuple, ah vous ne croyez plus beaucoup à l’amour ni à l’insolence
Si je dis peuple pourquoi derrière vous, vous vous tournez
Quel est celui que par ce vocable suranné je désigne ?
La révolte vous semble affaire de maniaque ou d’enfant gâté

Mais il y a comme une sale maladie dans la joie
Comme une crise de confiance den la qualité de l’eau du robinet
Peut être que les fruits du cœur sont traités, il y aura toujours un doute
Tout d’un coup le soupçon s’installe et vous voilà parcourus par la frousse
Terreur, je veux, Terreur, je veux répandre
Comme un apport de sang dans l’organisme fatigué
Guerres saintes partout, on vous avait confié des armes
Qu’en avez-vous fait, souvenez-vous, qu’en avez-vous fait ?
Dîtes, qu’avez vous fait de la parole qui est une braise ardente
On la prend à pleine main, on porte le feu
Dans les terres épuisées, dans les mauvaises blessures
Dans les mauvais sommeils ou sur les yeux des gens qu’on veut aimer
Je vais porter la guerre dans les journaux, chez le vieil humanisme
Là qui s’avachit dans l’eau stagnante des chroniques et des marais
Des petits féodaux, le parapet vous n’y passez surtout jamais la tête
On trahit gentiment derrière les sacs du courrier des lecteurs entassé
Il nous faut des porteurs de paroles avec des chenilles d’acier dans la tête
Pour conduire dans les vallées ce peuple hagard de jeunes gens
Dieu les protège et Dieu les guide et Dieu les aime
Ils ont ployé le vieux monde corrompu d’un buisson brûlant
Parole, pour porter des coups, parce qu’il est grand temps de parole
La vérité, la vérité, comme si la vie en dépendait
Parole, pour ouvrir un territoire avec des blessures fertiles
O Paroles, avant que ne s’avance la saison

Demain, il y a un virus fabriqué par hasard,
Les bateaux qui n’arrivent plus
Une ampoule qui claque à la régie finale
Une bombe de trop dans le magma central

Je vous dis qu’il est temps, ce monde est dans ce carnet qu’on referme
D’un geste las et qu’on écrase comme un cœur
Regardez s’envoler votre dernier bel avion magnifique
Il s’en va errer dans la banlieue des pourquoi-comment
Ce monde, on l’oubliera, dites-vous bien, très vite
Comme dans un éphéméride, un chiffre parmi cent
Ce monde est déjà rien de plus qu’un graphisme misérable
Dans quoi, l’œil et la raison cherchent ce qu’on pouvait y trouver
Maintenant que le livre se ferme, sentez ce vide capital
Le ciel est désert, la terre bruit de cris désaccordés
Que se lèvent ici, ceux qui ont de l’esprit pionnier dans la tête
Il va falloir dès ce soir tout recommencer…

Pied gauche

Homme triste (huile sur bois et pastels gras – Joël Hamm)

Certains matins

le vide du monde

chevauche la brume

au-dessus des prairies

L’étau interne

exprime le jus de vie

la sauce intime

Tuer se tuer

c’est donc plus simple

que chercher un amour

même de rien

Un simple petit chagrin

larme sanglot reniflement

serait bénédiction

Par nos pleurs

les rivières de notre âme

renaîtraient à leur source

Égorge la muette méduse

lovée en ton sein

Tes mots bientôt

ne suffiront plus

à noyer ses mille têtes

Retrouvailles

Jetée

J’ai besoin de solitude

pour mieux vous retrouver

pour effacer de nos yeux

les habitudes nocturnes et diurnes

les embrassades posthumes

Vous voyagez la nuit

entre une caresse improbable

et cette sonnerie ponctuelle

Au matin vous savez le vide

Votre vie se tient là

comme la mienne

à cheval sur l’abstrait

Le froid de l’aube

nous rapproche parfois

Fronts appuyés sur la vitre

Nos haleines ne mêlent pas leursbuées

Des souvenirs d’avant la vie

tissent entre nous d’invisibles murailles

d’infranchissables murs d’air

Nos rêves tendent les câbles

dans notre dos

retiennent l’élan de nos corps

J’ai besoin de solitude

pour forger les cisailles

pour vous rejoindre sans heurt

fêter les retrouvailles

avant la fin de notre heure

Le silence bruit de nos cris muets

de nos paroles aveugles

Le temps empli ses sabliers du sel de nos rêves

et nous laisse au soir

noyés sur les grèves

Le ressac nous brise

brode nos âmes d’écume grise

Nos corps gisent lavés par les lames

les yeux percés d’éclats nacrés

J’ai besoin de solitude

pour arpenter le chemin inverse

trouver le silex éveilleur d’étincelles

J’ai besoin de m’y blesser

pour transfuser votre corps

pénétrer votre chair

être planète de vos atomes

incendier vos rêves

casser

les aiguilles de givre

du grand chronomètre

Temple

Gerbe

Dans ma nuit de tous les jours

Je porte ton image floue

au bord des rues du monde

des mondes passants

transparences fermées dans leurs costards

Klaxons

indifférence

Je vais par les regards

sans rire

sans voir sous les ciels couvercles

les ailes néons du boulevard

J’oublie mes êtres de poussière

les vieux appels

Sourds ma source

trouve le cours de mon dédale

Remonte l’écheveau de mon apocalypse

Que ton vent solaire éparpille mes abeilles

d’os et de chair

Que tes rivières secrètes accueillent la pluie acide

de ma lumière morcelée

Rejaillit ma source

de tes terres douces

Le temps pleut

La vie éclabousse

Bêtes

Crayons de couleurs Joël Hamm)

Mes animaux doux

aux yeux d’énigme

d’où veniez-vous

Où êtes-vous

Girafes aux jambes d’herbe

muettes au trop long cou

Mouettes au long cours

Et vous mes ours tranquilles

aux mains de miel

En quel sommeil

nous aimions-nous

Eh, les deux grands bœufs aux sabots de boue

Quelle chanson nous vit peiner

au creux d’un labour lourd

Et vous mes chenilles de soie

Quel cocon nous protégea

Qui donc dévida notre écheveau

pour tisser sa robe de noce

Cheval des vents

petit cheval blanc

toujours devant

souviens-toi du trèfle sucré

Nous y dormions debout

appuyés sur l’air

Mes agneaux de lait

petits frères de laine

quelles tétines d’étoiles

tétions-nous sous la voie lactée 

Vous les éphémères

Quelle seconde parfumée

nous parut un siècle

et vit notre chute sous la lampe

Toi le taureau rouge

notre sang comète

quelle banderille glacée

le fit jaillir

et rouler mercure sur la poussière 

Quelle clameur mourut avec nous sous l’astre blanc

Souviens-toi nos coups de cornes contre les vantaux fermés

Vers quelle ellipse glissons-nous sans fin

Ce coup au cœur