Premier page du premier chapitre d’un roman en cours d’écriture : « la vie, au contraire ! »


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Onze heures du matin et elle n’était pas encore prête. La voix de la météo prophétisait un soleil éclatant et vingt-quatre degrés dans la journée. L’été indien. Le carré de ciel fangeux découpé par la fenêtre la ramena à la réalité. Pas de doute, elle ne se trouvait pas à Paris mais bien à Nijni Novgorod. Elle éteignit son ordinateur portable branché sur France Info. Habituellement, elle écoutait une radio russe mais, depuis quelques temps, ce pays et son climat l’excédaient.
Après un mois quasiment estival invitant à des balades sur les bords de la Volga, le temps s’était mis à flancher. L’automne s’affirmait, humide, venteux, glacial. Quelque part, l’hiver russe fourbissait ses armes contre d’hypothétiques envahisseurs. Elle s’habilla : collants sous le pantalon, pull épais, caban breton, bottes montantes, gants.
Le bâtiment de l’Alliance Française où elle donnait des cours se trouvait à moins d’un kilomètre de chez elle. De la rue Zvezdinka à la rue Ocharskaya c’était un vrai défit de marcher entre les flaques et la boue glissante, pégueuse et profonde. Ce serait le dernier hiver qu’elle passerait en Russie. Une promesse qu’elle s’était déjà faite l’année précédente.
Chaque jeudi, elle partait un peu plus tôt de son appartement pour déjeuner à deux pas de l’Alliance, au Buffet, un café restau à la décoration incertaine. Une véritable brocante : meubles campagnards rafistolés, guirlandes de fils électriques en attente d’électrocutés, matériel audio datant de l’ère soviétique. Elle se demandait à quoi servaient les tubulures métalliques qui sillonnaient le plafond. Le délabrement des murs était caché par des tableaux modernes inspirés du cubisme qui rivalisaient avec une collection de photographies sentimentales des années 1930 et des tapisseries naïves à franges dorées. Sur sa préférée, une famille d’ours batifolait dans une forêt digne des studios Disney.
Elle franchit la porte rose du Buffet et descendit les quelques marches qui menaient à la salle en sous-sol. Slava, le patron, était en train de bidouiller un monumental magnétophone à bande datant du moyen-âge. Son crâne de vieil ivoire poli luisait sous la lumière jaune du bar. Elle aimait bien son physique de vieux cosaque, ses pommettes hautes et ses moustaches encaustiquées. Une image folklorique rassurante. Slava releva la tête et l’accueillit d’un rocailleux Dobrii dien, Alisa !

Tu es dans l’air du temps ! 😉
Bonne nuit !
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Un air un peu chargé !
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