
Tu nais, un jour ou l’autre. Tu marches. Le trajet est périlleux. Tu ne relèves pas la tête. Tu devrais. Pour voir. Pour ne pas trébucher. Tu grandis. Tes pulsions te poussent à des actes inconsidérés. On te pardonne. Ta maladresse adolescente est une preuve de sincérité. Tu as de larges épaules et tu gagnes en assurance mais tu as tort de bousculer tes aînés au lieu de les laisser t’apprendre ce que tu ne sauras que tardivement.
Arrivé à l’âge adulte, tu cherches la perfection. Les défauts dans ton tissage te désespèrent. Tu mets du temps à comprendre que tu n’es pas Dieu, qu’il est inutile de chercher à triompher, et que les vainqueurs d’aujourd’hui seront les vaincus de demain.
Provocateur et sardonique, tu te tiens hors de la mêlée. Tu désires vivre librement. Prends garde ! En cherchant à fustiger les médiocres, tu le deviens. Tu te perds de vue. Tu deviens sombre et secret. Ris plutôt, dévoile tes attirances profondes. Qui se souciera de ta différence ? Au moins, tu seras toi-même et tu te reconnaîtras.
Les choses continuent, avec ou sans toi. Certains matins, le vide chevauche la brume des prairies. L’étau interne exprime ton jus de vie, ta sauce intime. Tu ressens le mal absolu. Euphorique de noirceur, la déréliction te gagne. Appâter les requins de ton propre cadavre serait une délivrance. La folie te joue son grand air.
On te soigne.
Les pilules roses étouffent la pieuvre bavarde nichée en ton cerveau. Tu te réveilles, à peine différent, soulagé de tes maux, intact de toute pensée essentielle. Tu as bu fleuves et mers, peint des yeux sur tes œillères, décroché la lune de sa patère.
La vie te reprend.
Tu t’es endurci puisque ta faiblesse n’a pas eu raison de toi. Pas question de disparaître sans connaître la vitesse et l’alcool. Toi qui étais devenu si prudent !
Épisodiquement, tu aimes un peu, beaucoup, tu te demandes. Difficile de savoir. L’amour n’aura pas ta peau. Tu veux survivre à tout prix et mourir de ton vivant. Ta vie résiste aux marchandages de la mort. Tu cherches des raisons d’espérer en lisant les textes sacrés. Pour un peu, tu prierais.
Éprouvées par la vie quotidienne, tes croyances se fanent. Tes convictions s’effacent.
Tu abordes le temps de la vieillesse. Tu maudis ta marche ralentie et la pitié que tu perçois chez les jeunes gens qui te bousculent. Que fais-tu donc dans leurs jambes ? Tu devrais te souvenir.
Tu deviens vraiment désinvolte, superflu.