Cette année-là, elle est vivante. Il a dix-huit ans et elle guère plus.
Elle rentre chez elle le midi. Il l’attend en bas de son immeuble. Elle lui demande s’il a faim. Pas du tout. Ça tombe bien, le frigo est vide. Elle sort une soupe en boîte d’un placard, tire sur la languette du couvercle et plonge une grosse cuillère dans la gélatine de tomate. Elle est belle. Il la regarde avaler sa mixture extra terrestre. Elle lui sourit avec un regard un peu en dessous, ente deux bouchées tandis qu’il convoite ses seins nus sous son pull léger et qu’il caresse sa nuque brune. Il sent sous ses doigts une mince chaînette où, il le sait, est pendue une croix d’or. Le soleil joue sur le lit défait qu’il aperçoit par la porte de sa chambre entrouverte. Elle pèle une orange qui se dessèche sur la table de la cuisine. Il n’en veut pas la moitié. Il la veut elle. Il écarte le quartier d’orange de ses lèvres et goûte l’acidité de la tomate industrielle sur sa langue. Elle regarde la pendule. Il faut partir. Ils marchent en silence et elle franchit le portail de l’entreprise qui l’a embauchée pour un boulot d’été. Elle se retourne une fois et disparaît. Il reste un moment devant la cour vide, le temps que son désir encombrant perde de sa rigidité.
Une autre fois, il la guette au coin d’une rue et fait mine de la rencontrer par hasard. Elle est encore plus belle que dans son souvenir. Elle lui parle comme s’ils s’étaient quittés la veille. Soudain, elle lui annonce qu’elle est malade. Il a du mal à la croire tant son corps exulte. Il lui prend la main et cherche au fond de ses yeux je ne sais quoi de rassurant. Elle lui dit qu’elle a peur et il ne trouve aucun mot de réconfort. Il ne monte pas chez elle en prétextant le manque de temps.
C’est à elle qu’il manquait.