
Fait chaud !

Avant la ruée des autocars…
J’ai d’l’amour à r’vendre
tout chaud sous la cendre
Personne n’en veut
même du bout des yeux
Sans doute que j’suis laid
qu’à aucune je n’plais
Pour vendre ma romance
et en faire une danse
faudrait un aut’ man’quin
moi j’suis qu’un pauv’ pantin (bis)
Mon amour
y a des jours
pire que d’autres
où qu’la disette
me fait risette
comme à l’apôtre
sauf que pour mézigue
tu peux l’croire
c’est pas une pent’côte
Le vin dans mon ciboire
c’est qu’ du jus d’ figues
de la piquette
de l’eau d’automne
qu’est jamais bonne
qui donne envie
de s’tuer la vie
La vie s’écoule hors de toi
Tu devrais prendre ce car Azur Provence
Il t’emmènerait vers Nice
ses corsos fleuris
ses odeurs d’anchois
d’olives et de beignets
Tu contemplerais la mer
si bleue pour ceux qui espèrent
si sombre pour ceux qui s’y noient
En traversant Paris
tu verrais défiler les façades
les baies éclairées
les silhouettes assises sous les hauts plafonds
Autres vies entrevues
ombres énigmatiques
sur les murs des appartements
Le front appuyé contre la vitre
tu surprendrais tes yeux reflétés
d’où tomberaient les écailles des vieux horizons
Si ce n’est déjà fait !
Barbara est quelqu’un pour qui la poésie est aussi vitale que la respiration. Ses mots fusent, s’accouplent et donnent naissance à des images inédites qui permettent au lecteur d’accéder aux étages supérieur de son âme. La poésie de Barbara Auzou glorifie l’amour, la vie, la beauté.
Elle publie chaque jour généreusement sur son blog « Lire dit-elle », une poésie inspirée, mais aussi inspirante, charnelle et émouvante.
Il était satisfait. Ses actionnaires auraient des revenus assurés pour des années. Une commande d’État, un projet gigantesque ! Aucune tréfilerie au monde n’avait eu cette chance. Il s’agissait de construire un mur qui enfermerait à terme quarante pour cent de la Cisjordanie et la séparerait d’Israël.
Sept cent quatre-vingt dix kilomètres de long, soixante à soixante-dix mètres de large avec, successivement, une ligne de fil de fer barbelés à lames (ses barbelés !), un fossé, un mur en béton haut de huit mètres muni d’un système d’alarme électronique, des voies de passage et, à nouveau, du barbelé, sur plusieurs rangées. Des milliers de kilomètres de fil.
Il accompagna un ministre dans les premiers temps du chantier. Depuis un hélicoptère, il vit ses chers barbelés tendus autour des enclaves palestiniennes de Kalkilya et de Tulkarem. Et ce n’était qu’un début. Des milliers d’oliviers avaient été arrachés pour faire place au mur. Qui a entendu les plaintes des paysans chassés de leur maison, séparés des ressources en eau et de leur terre par des tranchées qui coupent les chemins d’accès ?
Le ministre lui annonça qu’une fois les travaux achevés, trois cent quatre vingt mille palestiniens seraient contenus par cette frontière barbelée. Soudain il se revit, enfant affamé, couvert de poux, errant dans les rues du ghetto de Varsovie arrêtées net par un mur de brique. Une atroce douleur lui tordit le ventre tandis que des images de son passé affluaient, un train dans la nuit, des cris… Treblinka. Pourquoi avait-il été épargné ?
Des images d’actualités s’imposèrent à lui : d’autres murs, d’autres remparts qui couraient à la surface de la planète. La barrière électrifiée entre les deux Corées; la ligne verte séparant les communautés grecques et turques sur l’île de Chypre – fils barbelés, béton, tours de guet, fossés anti-chars, champs de mines ; les lignes de « paix » – acier, béton, barbelés !- en plein Belfast ; Le Berm, ce remblais de sable de deux mille kilomètres de long, élevé par les Marocains sur le territoire sahraoui ; l’encerclement de Melilla et de Ceuta, ces enclaves espagnoles emmurées au Maroc ; les douze cent kilomètres de mur construits par les États-Unis à la frontière mexicaine – et ce n’était pas fini ; le grillage électrifié hérissé de barbelés qui traverse le Cachemire entre l’Inde et le Pakistan ; la barrière le long de la frontière du Pakistan avec l’Afghanistan ; le mur édifié à Bagdad par l’armée américaine pour séparer les quartiers sunnites et chiites…
Il avait accepté de participer à cette folie, aveugle à ce qui n’était pas ses propres préoccupations et, soudain, il avait conscience de trahir sa propre histoire.
Aucun Josué ne ferait tomber ces murailles au son des trompettes, comme à Jéricho. Le ghetto moderne finirait par enfermer tout le monde, chacun de part et d’autre des barbelés.
Ce furent ses dernières pensées, juste avant que l’hélicoptère ne soit touché par un tir de roquette.
Un texte publié en son temps dans le cadre des 807 par Franck Garot. Vous pouvez en lire d’autres ICI
Deux ans déjà que je suis prisonnier de cette secte de graphomanes, encagé dans ce réduit aux murs tapissés de livres, 807 exactement, portant ce même numéro 807, quelque soit l’éditeur ou la collection. Tout juste si mes geôliers m’apportent une ration suffisante pour survivre, le plus souvent une bouillie infâme de pâtes alphabet gonflées dans un brouet clair. Pour boire, il faut que je supplie et je n’obtiens mon verre d’eau qu’à condition de réciter sans me tromper les livres qu’on me force à lire. Toutes ces lignes accumulées forment un monstrueux hypertexte où mon esprit se perd. A peine, me souviens-je des titres qui s’enchaînent hors de toute cohérence stylistique. Voyez cette liste folle de numéros 807(et il m’en reste encore 793 à ingurgiter avant ma libération !) : Le pari d’un chirurgien de Marion Lennox – Ed. Harlequin / La chute de Constantinople d’Edward Gibbon – Ed.Payot / Télé poche du 29 juillet 1981 / La fille des marais (anciennement titrée : Bayou, bayou) de Charles William – Ed. Rivage Noir / Huis clos, suivi des Mouches de Sartre – Ed. Folio / La machine de Balmer (SF) de Claude Veillot – Ed. J’ai lu / L’éternel mari, pièce de Victor Haïm d’après Dostoïevski – Ed. de l’Avant scène / Jean-Christophe (tome III – l’adolescent) de Romain Rolland – Ed. Livre de Poche (le surveillant n’a pas voulu m’apporter les neuf autres tomes qui ne portaient pas le bon numéro) / Ma vie chez les indiens de Mary Campbell – Ed. Livre de poche jeunesse / Les dieux de l’espace (SF) de Franck Dartal – Ed. Fleuve noir / Le numéro du 14 janvier 1960 des Lettres françaises où l’on parle d’Aragon et de Michel Butor / Le Voleur, journal pour tous du 20 décembre 1872 / L’Auto Journal du 15 juillet 2010 consacré à la Peugeot 508 (une erreur de casting, probablement) et enfin last but not least, Le volume 3 (sur 5) des Fondements de la critique de l’économie politique de Karl Marx aux éditions 10/18.
Mais, silence ! Il me reste 150 pages à apprendre par cœur et j’entends les pas du Taulier dans le couloir.
A t’attendre le temps fuit
Heureux qui depuis toujours
suit son chemin
reconnu pas à pas
La carte du Tendre n’est plus à jour
Je la redessine au vingt millième
après exploration
Je t’attends sur la carte future
Regarde
tu verras la rivière Patience
grossir chaque soir le fleuve sans nom
Je me trouve près de leur confluence
oscillation du silence
sous une croix de granit bleu
lieu dit « Quatre vents »
D’après la légende
les étoiles rouges sont des géraniums
arrosés chaque jour par une amante
chaude et constante
Pour me rejoindre
emprunte les chemins tracés
par tes pas
Nous les noterons plus tard
après nos retrouvailles
la fête des semailles
Nous aurons le temps
Quand tu seras près de moi
plus besoin de carte
Nous tracerons notre vie
au hasard des saisons
nous rafraîchirons nos âmes
au secret des fontaines
D’autres cartographes traceront d’autres routes
s’ils s’aiment autant que nous
Nous serons déjà loin
sur la mer dangereuse
en partance
pour les terres inconnues
la tête à l’envers
perchés sur les
sentiers penchés
accrochés à la terre
si petite sur les cartes célestes
Notre amour ira sans boussole
Ce qu’il faut pour garder la santé, c’est l’optimisme et varier les menus. Un jour aux Restos du Cœur, place de la République, le lendemain boulevard de Ménilmontant, devant le portail clos du cimetière du Père-Lachaise. C’est un peu bruyant, les gens s’impatientent mais le camion de la mairie arrive toujours à 19h30. Je suis caissière dans un hyper de banlieue. Je passe 22 stations de métro pour venir. Quand mes horaires de travail me le permettent, j’essaie d’être parmi les premiers à attendre. C’est qu’on est près de 600. La patience est une qualité de pauvres. Plus de chéquier, plus de carte bleue, mes fins de mois commencent le 8. Ils servent de la soupe à volonté. C’est chaud, c’est bon. Que demander de plus. J’ai un petit appétit. Pourtant je me fatigue au boulot. Je bosse à toute heure du jour et de la nuit, été comme hiver. Ça change tout le temps. Le travail flexible, ça vous rigidifie le dos, je vous le dis. La direction de l’hyper vient de m’augmenter. Un euros de l’heure en plus. Un pactole ! Ça ne m’arrange pas. Je vais dépasser le plafond. J’ai peur de ne plus avoir droit à la Complémentaire Santé Solidaire (C2S)*. Il paraît même que maintenant, je dépasse le seuil de pauvreté. Dommage que le seuil de richesse n’existe pas…
* ancienne CMU
Une version en prose du poème « Dans ses yeux » publié hier…
Ils avaient grimpé sur la falaise et s’étaient assis dans l’herbe brûlée par les embruns.
Poussières de foin, étoiles de paille, herbes filantes. Litière de lumière frottée de vent.
Il prit son visage entre ses mains et la regarda comme s’il ne l’avait jamais vue. Dentelles fougères, ombres légères sur sa peau d’épice.
Elle l’attira à lui.
Leurs corps moissonnèrent callunes et tormentilles. Les fleurs de chèvrefeuilles nourrissaient leur souffle. Il voyait dans ses yeux des forêts enfanter le silence et mille soleils avancer de front. Dans son corps, le sien retrouvait sa mémoire et l’avenir devenait possible. Il pressentait les jours et les nuits avec elle, leurs enfants qui pousseraient dans son ventre. Enfants des greniers, des jetées sans fin. Enfants des îles vierges. Enfants miel des garrigues, enfants lavande, sève acide des sources. Leur flux les déposerait, coquillages, aux rives rêvées. Leurs mains nues les cueilleraient au creux de leurs corps pour les rendre à l’espace. Poussières d’homme, promesse d’univers. Enfants des anciennes blessures, argile tendre, terre de révolte, de récoltes mûres, ils seraient une revanche sur la mort et l’abandon, leurs justes enfants du midi des groseilles. Ils ouvriraient l’horizon et rebâtiraient un monde juste et fraternel, ils franchiraient d’un bond les haies nocturnes pour affronter la lumière.
Il entendit nettement leur rire tandis que la mer assaillait la falaise et qu’elle ondulait avec eux.
Dans tes yeux
les forêts enfantent le silence
les soleils avancent de front
Dans ton corps
le mien retrouve sa mémoire
Tu dis :
L’espace m’effraie
j’attends les spasmes
Guetteur d’inutiles étoiles
agrafé à l’aubier de l’univers
tu bouges trop pour t’y tenir
Comme si cela servait
à ce grand équilibre
ton imperceptible déséquilibre
Tu existes
C’est ta servitude
Le reste du monde est de trop
sauf pour t’y comparer
t’y blesser
t’y soustraire
Cela prend tout ton temps
Espace grillé par un soleil de magnésium
Ville au reflet mouvant
Les chiens dansent le bebop
sur le goudron fondu
Une brume de chaleur plombe le ciel
La courroie du temps patine,
duplique les jours de la semaine,
identiques à eux-mêmes.
Un accablement euphorique
s’empare des corps
dissout les âmes
Ombres légères
Dentelles fougères
sur ta peau d’épice
Litière de lumière frottée de vent
Étoles d’écume
Les sables roulent roses
Le ciel colore lilas la grève
trouée de flaques
Poussières de foin
Étoiles de paille
Herbes filantes
Nos corps moissonnent callunes et tormentilles
Les chèvrefeuilles nourrissent notre souffle
Chemins d’encre
Mémoire de l’acier des plumes
Griffes des landes
Traces lentes
Entre les fleurs désuètes
un vieux sourire me guette
Vieille femme osant
son dernier tour du monde
le tour de son lit
en me regardant
avant l’adieu essoufflé
Regret d’étreintes douces
Courants d’air des gares
Encre noire
âcre sang de plume
Signes rapides
Insectes sous la lampe d’été
Dessins las et légers
Éclats de paille volés aux moissons
Phares ensablés
Sables inlassables
Un chien jaune lèche le sel
L’océan rafle les rocs
Les vents taillent la moiteur moka du soir grillé
La barre bleue ramène l’horizon
jette ses émeraudes sur la grève noire
Un remorqueur s’évapore
buée
au large des graviers battus par le ressac
Le parfum des vieux sacs
graissés de sueur
des chameaux porteurs
de café
filtre
sous la porte close d’un hangar oublié
Un soleil rouge
frangé d’écume
bouscule les phares quilles
file un dernier rai vert entre les cuisses de la nuit
Foule intacte de toute pensée essentielle
nous avons bu mers et rivières
peint des yeux sur nos œillères
décroché le soleil de sa patère
Sans repères la chute est insensible
Admirons l’homme
esclave idéal
sans origine
sans destin
Il rend indistincts
haine et amour
de son prochain
Applaudissons
il peut faire le bien
sans les mains
et
agonisant
réclamer encore ses droits de terrien