
Dans le cadre posé sur le petit secrétaire, sa photo.
Assis exactement à l’aplomb du lustre familial, le pater familias expose sa lueur gélatineuse, sa tremblante tyrannie. Il aime la paix et le calme, la silencieuse poussée des plantes. L’indocilité bruyante de sa marmaille le renvoie à l’inconfort permanent de sa propre enfance. Jamais tranquille, jamais à l’abri d’un coup de gueule, d’un coup de pied. Exactement ce qu’il fait subir à sa progéniture au nom de la paix de jardin qu’il désire avoir chez lui après sa journée de travail.
Son nez veiné de bleu brille à la table des dimanches encombrée de verres souillés et d’enfants ennuyés, le cul boulonné aux chaises droites. Pas parler, pas bouger, pas rire… Ils se moquent intérieurement des vaticinations du grand-père rabiot et subissent les plaisanteries éculées du tonton nabot. Des mots béquilles, mouillés d’alcool, rampent sur les taches de la nappe.
Jalousé par son frère, calé entre le mépris de sa future veuve et le haineux silence de ses descendants, le père crachote ses amertumes. Du noyau de sa graisseuse enveloppe, le grincement radoteur de ses stéréotypes réactionnaires refait le monde. Le monde refait se fige dans la sauce saindoux du rôti et l’amour échalote luit, verrue brûlée à la surface de la viande.
Oublieux de la tare familiale inconsciemment entretenue par des générations de soumis, ses rejetons secrètent une amère bile et dans leurs yeux miradors défilent des hospices où aucun visiteur ne vient.
Ployant sa fourchette sous le poids de ses doigts épais, le père s’abstrait. Il retrouve des bribes de mémoire, le goût sucré des violettes suçotées en revenant de l’école, le parfum torsadé des chèvrefeuilles étrangleurs.
Il soupire.
Dernier verre de marc après le café. Regard noyé, il roule des miettes de vie contre ses ongles endeuillés et marmonne des sons inaudibles, borborygmes fondus dans la digestion collective, velléités qui titubent hors de leur morne caveau et finissent par un rot : Faudrait une bonne guerre !
superbement écrit ! on y est tout à fait
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Hélas !
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