
– Monsieur, je vous le dis sans détour : Quittons-nous ! Adieu sourires, adieu blessures, que la vie soit douce à d’autres !
– Mais, pourquoi ? De quel droit ?
– Je ne veux plus de vous en moi. Nous grelottons trop dans notre corps. Regardez autour de vous ! La férocité règne sur le monde. Le pauvre est résigné et la barbarie gagne malgré vos défilés et vos pancartes. Personne ne vous entend. Vous êtes isolé.
– Pas du tout ! J’aime, je suis aimé…
– Parlons-en ! Vous buvez l’amour c’est à petites gorgées. Une tisane tiède ! Pour vous, l’amour est vain. Les féeslégères aiment danser et comme vous ne savez pas mettre un pied devant l’autre vous préférez rester assis et contempler le vol des hirondelles en remâchant des souvenirs d’elles. Votre vie faseille sous le souffle de votre paresse, votre solitude est un oubli de votre ombre.
– C’est quoi, ce charabia ? Vous parlez pour distraire les passants, où quoi ?
– Surtout pas !
– Ah, c’est vrai, les autres ne vous intéressent pas ! Vous vous croyez exceptionnel ? Sortez un peu de chez vous !
– Si je me tiens à l’écart du monde, c’est pour mieux le décrypter. Et plus je perçois sa réalité plus je le fuis !
– C’est vous que vous devriez fuir ! Je me demande si vous méritez de vivre. Que de temps perdu à vous morfondre !
– Vivre… mourir. Le temps, le temps ! Vous n’avez que ce mot à la bouche ! Le mien, j’en fais ce que j’en veux. Je le passe à reconstruire mon histoire entre les lignes du hasard.
– Vous pouvez traduire ?
– Comprenne qui pourra ! Trop d’explications n’instruisent pas les imbéciles. C’est du temps perdu, justement !
– Vous ne vous ennuyez pas, seul avec vos certitudes arrogantes ?
– Jamais. Je me distrais d’un rien. J’épie le malheur au coin des rues, ça me rappelle le mien : enfant, entre cour et jardin, je buvais les larmes d’une mère sans réplique aux drames de sa vie. J’avalais le fruit âcre jusqu’à la lie, sans caler sur les pépins. J’ai trop bu cette eau saumâtre, ces regrets, ces souillures. Aujourd’hui, j’aime la pureté. Je me désaltère de la pluie du ciel qui ruisselle sur le bronze des statues dans les squares. Je lèche les gouttes sur leurs fesses radieuses. Je lape le vin chaud qui sourd de leurs sexes. Je bois le sel de leurs sources. Je m’enivre de l’enfance des prophètes, du sang des poètes.
– Je vois, vous fuyez votre passé en habitant celui des autres.
– Hélas, oui ! C’est ma servitude. Une fatalité. Je me demande d’où vient cette voix que je suis seul à entendre. Cette voix qui néglige les vivants et pleure la poussière des bonheurs perdus.
– Quand on connaît ses travers, on peut lutter contre, non ?
– Ce ne serait pas naturel ! Et moi, je suis un être naturel. Si une pente se présente à mes pas, je la suis !
– Pour allez où ?
– Où mes pas me conduisent ! Il faut que je me répète ?
– Je vous dérange avec mes questions ?
– Pas plus qu’avec vos réponses.
– Je vous ai donné des réponses ? Vous ne m’avez pas posé de question, que je sache ! Pourquoi vous répondrais-je ?
– Parce que vous ne savez faire que ça. Ecoutez-vous ! Votre manière de me questionner ne fait que me donner des informations sur vous.
– Je ne vous suis pas.
– Tant mieux, j’ai horreur qu’on me colle, qu’on me surveille, qu’on me traque. Laissez-moi, je vous dis. Partez, ou je hurle !
– Je vois, solitaire et paranoïaque !
– Langage de chef de gare ! Ça ne m’étonne pas de vous.
– Je retire paranoïaque. Calmez-vous ! Nous sommes entre nous. Vous ne risquez rien.
– Je me calme, je me calme… En fait, vous avez raison, j’ai besoin de solitude pour effacer de mes yeux les habitudes nocturnes et diurnes, les embrassades posthumes. J’arpente perpétuellement des chemins inverses pour trouver le silex éveilleur d’étincelles qui incendiera ma vie. Ah, si seulement la femme dont je rêve, m’aimait ? Elle est si…
– Quel déballage ! Cessons, Monsieur ! Les questions intimes ne sauraient se déclamer ainsi. Parlez sobrement, s’il vous plaît ! Je ne suis pas d’humeur à marauder entre vos mots. Vos petits secrets ne m’intéressent pas. Vous entendre dire tout et n’importe quoi est une douleur. Vous ne faites que chanter le deuil de la vie. Vous n’êtes qu’un désespéré.
– C’est un point de vue !
– Parler de la mort avec vous est une endurance lassante. Malheur à celui qui vous écoute ! Adieu, monsieur ! Il est temps de balayer la cendre des mille portes brûlées sur votre passage. De jeter vos semelles de vent trouées d’oiseau, de sécher le sel de vos larmes. Il creuse vos propres plaies.
– Merci, oh, merci ! Vous m’avez compris. Je suis un poète… – Un poète ? Vous ignorez donc que la poésie s’est mise à puer comme des millions de cadavres ! Monsieur, sachez-le, depuis votre naissance, je me méfie de vous. Votre fausse modestie m’est trop familière. Arrêtez de vous rendre misérable et si des visages de femmes vous tourmentent, divorcez d’avec vos rêves, dialoguez avec les vivants. Ceux qui voudront bien vous écouter. Vivez, vivez ! Ayez ce courage ! Sans vous préoccuper toujours de votre petite personne comme vous le faites. Libérez-vous ! Libérez-moi de vous, de votre noirceur mortifère. Et surtout, cessez vos jérémiades. Le plus tôt sera le mieux. D’autres que moi vous aimeront peut-être !
Et oui, voici un réquisitoire qui interpelle.
Auto critique ou pamphlet universel….
En tout cas la pièce est bonne.
J’aimeAimé par 1 personne
ben ça alors… pensais qu’il y avait que moi qui pouvait écrire ce genre de morceau de bravoure … tu me la bailles belle !
J’aimeJ’aime
Finalement, on est quelques uns. Est-ce que c’est rassurant ?
J’aimeJ’aime