Scoties blues – 4ème chapitre de « Cheval volant »

Une nouvelle extraite de mon recueil « Pastel noir » édité par ZONAIRES

Théodore Géricault

4 – Scotie blues

   La nuit suivante, Taine dort très bien. Au petit matin, il se retrouve dans la rue, un sac de marin à l’épaule, son misérable pécule en poche. Luigi, un pote libéré trois mois plus tôt, lui a refilé l’adresse d’un squat.

   La pluie lui traverse le cerveau. Il arrive transi de froid au squat. Des gosses le conduisent auprès d’un certain Thomas qui est sensé réguler l’endroit. Le type, genre goret mal rasé, lui tend une main molle et lui indique la piaule de Luigi. Taine se laisse tomber sur le matelas taché qui occupe les deux tiers de l’espace. Il sombre immédiatement dans le sommeil puis rêve et se débat, prisonnier du dédale qu’il arpente trop souvent.

   Cette fois, ils sont deux sur le dos de Scotie. Taine appuie sa joue contre le dos bronzé de la fille en sarong qu’il enserre de ses bras. C’est elle qui dirige le cheval mais, au moment où Scotie prend son élan pour sauter une barrière, la fille s’évapore et Taine est désarçonné.

   Jeanne !

   Taine est réveillé par son propre cri, bien réel lui. Aussi présent que les images qui envahissent son cerveau embrumé et qu’il ne parvient pas à chasser. Vieux film de son passé qui ne passe pas. Il se revoit. Etendu sur le sol de rocaille, incapable de bouger les membres. En tournant la tête, il aperçoit Scotie, couché sur le flanc à quelques mètres de lui, les lèvres retroussées sur ses dents, haletant avec un souffle rauque, les yeux exorbités. Un filet de sang coule de ses oreilles. Un essaim de mouches s’y abreuve.

   Taine tente de se relever. Une douleur fulgurante lui traverse l’épaule et le bras droit. Un os dépasse de sa chair à hauteur du coude. Il entend des pas. L’homme est au dessus de lui, le dominant de toute sa hauteur.  Impossible de distinguer ses traits mais Taine sait que c’est son père. Son regard va de Taine au cheval agonisant. Il s’éloigne, s’agenouille près de Scotie, chasse les mouches de ses yeux avant de se relever et de disparaître. Taine est encore conscient quand son père revient accompagné de son régisseur et d’un palefrenier. Les deux hommes restent debout près de lui tandis que le vieux s’approche du cheval, un fusil à la main. Il en braque le canon entre les yeux de Scotie. L’explosion résonne dans la combe. Taine a un haut le cœur. Une seconde plus tard, il sent l’odeur de la poudre brûlée. Le canon du fusil pend près de sa joue. Son père est au-dessus de lui, il relève son fusil et, à cet instant, Taine comprend que son paternel a eu du mal à résister à la tentation de l’achever, lui aussi. Le palefrenier et le régisseur le font glisser sur une civière de toile et il sombre dans sa nuit.

   Fin de l’épisode.

   Taine est assis sur son grabat, le dos contre le mur, la tête dans les mains.

   Taine, quelque chose déconne sérieusement en toi. Tu devrais retourner voir tes parents et effacer toutes ces années de merde. Le pardon existe. Le temps pacifie…

   Il ouvre les yeux, a du mal à se resituer. Ce n’est pas sa cellule. Il voit l’ombre de la fenêtre, une croix projetée par les lumières de la rue sur le mur délabré… La piaule de Luigi. Une silhouette se tient dans l’embrasure de la porte. Celle d’une femme élancée, fine, grande. Taine se redresse, en appui sur un coude. La fille hésite puis entre. Son visage s’inscrit dans le carré de lumière. Elle a des yeux sombres, des sourcils fins et arqués qui lui donnent une expression de curiosité amusée. Taine remarque sa jupe courte et flottante, son maillot de coton blanc soulignant sa poitrine libre. Le genre de fille à faire tourner les têtes d’une terrasse de bistro dans un ensemble parfait. Et bander instantanément un taulard tout juste sorti d’une longue période d’abstinence. Il se laisse retomber sur le matelas. L’inconnue s’approche.

   – J’ai entendu crier. Ma chambre est en face et ta porte était ouverte. Tu rêvais ?

   – Quelle heure est-il ?

   – Presque vingt-deux heures. Tu es le pote à Luigi ?

   – C’est ça… Maintenant, je vais vous demander de sortir. Il faut que je me lève, mademoiselle…

   – Appelle-moi Sandra.

   Elle agite une enveloppe chiffonnée.

   – Un mot de Luigi. Il est parti en Italie. Si tu as besoin de quelque chose, je travaille au bar, en haut de la rue.

   Taine attend qu’elle referme la porte derrière elle pour lire le message de Luigi : un numéro de portable, un nom : Hagen.

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