Christian Bobin

Le 23 novembre dernier disparaissait ce poète généreux. Continuons à le lire et il vivra longtemps encore…

Quelques extraits :

Lire quand on est enfant, c’est quitter sa famille et devenir jeune mendiant, tendre la main aux princes de passage. C’est aller en Sibérie, avec loups et cris de neige, si loin que votre mère ne vous retrouvera plus, criant « à table » dans le désert, loin, très loin du petit contemplatif aux yeux brun-vert gelés comme un lac…
La lecture est un billet d’absence, une sortie du monde. (Un bruit de balançoire)

Je te revois préparer à manger pour les tiens. Ce travail infini pour lequel personne jamais ne vous remercie. Les mères par leurs soins élémentaires fleurissent les abîmes. Si il y a encore des lions, des étoiles et des saints c’est parce qu’une femme épuisée pose un plat sur la table à midi. Cette femme est la mère de tous les poètes. C’est en la regardant qu’ils apprennent à écrire . ( La grande vie )

Les gouttes de pluie sur la vitre ont un bombement argenté et une bordure laiteuse. La pluie s’arrête. Les gouttelettes ne partent pas tout de suite. Elles forment une voix lactée cloutée. Elles semblent figée comme parfois nos vies. Puis l’une se met en route. Il est difficile de ne pas penser qu’elle va vers sa mort. La jeune élue, poussée par le vent, s’éloigne de ses sœurs idolâtres, crispées dans une fausse immortalité. La petite vivante avec sa joie muette glisse en oblique vers l’abîme, dans l’angle de la vitre encadrée d’acier froid. Voilà. C’est fini. Vivre n’est rien d’autre que donner sa lumière, traverser la voie lactée des épreuves, disparaître – et continuer, car telle était la parole qui se matin se fracassait en dizaines de gouttes d’eau sur la vitre insensible d’un train entre Paris et Genève : aucune lumière ne se perd. Nous sommes des paillettes d’or détachées d’une statue vivante. Nous sommes des instants de son souffle, des pollens de sa voix, des petites gouttes de pluie qui prennent le train sans billet jusqu’à l’éternel qui est ceci, ici, maintenant. ( Un bruit de balançoire)

Nous sommes avec la parole comme la petite fille aux allumettes dans le conte d’Andersen: nous en faisons commerce. Nous proposons nos mots contre un peu d’or, un peu d’amour ou de silence. Mais les paroles qui dorment sur nos cœurs, personne ne vient les prendre.
On ne peut les échanger contre rien. Alors on les entasse sur le bûcher d’un livre. Alors on enflamme un livre après l’autre dans la nuit froide. On regarde les mots flamber une seconde puis s’éteindre, aussitôt recouverts de neige blanche.(Dis-moi quelque chose qui ne meurt pas)

Je n’écris pas avec de l’encre. J’écris avec ma légèreté. Je ne sais pas si je me fais bien entendre : l’encre, je l’achète. Mais la légèreté, il n’y a pas de magasin pour ça. Elle vient ou ne vient pas, c’est selon. Et quand elle ne vient pas, elle est quand même là.
Et si en même temps elle est rare, d’une rareté incroyable, c’est qu’il nous manque l’art de recevoir, simplement recevoir ce qui nous est partout donné.(La folle allure)

3 réflexions sur “Christian Bobin

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