La roche tremblante

EXTRAIT

Je me souviens d’une promenade en forêt avec ma fille, en Bretagne, pour voir le chaos de Huelgoat.

   La rivière d’argent bouillonnait au milieu d’une avalanche de rochers. Alice avait dix ans. Devant ces énormes cailloux ronds qui semblaient semés par un géant, je lui avais parlé de Gargantua et elle cherchait des traces de pas gigantesques sur les plaques de mousse au bord de l’eau. Elle portait des tresses châtain clair blondies par l’été et terminées chacune par un élastique de couleur différente. J’étais ému qu’elle me donne la main et qu’en marchant elle lève la tête pour me regarder en plissant les yeux à cause du soleil. Elle les avait bleus, d’un bleu de fleur de lin. Je revoie son attitude confiante. J’avais réussi à ébranler la roche tremblante qui pesait cent tonnes. Pas sorcier si on connaît le truc. Alice n’en revenait pas. Nous étions ensuite descendus dans la grotte du Diable par une échelle de fer qui paraissait dangereuse. Les pierres était glissantes, nous nous cramponnions à une rambarde rouillée ; le torrent grondait parmi les roches. J’avais raconté la légende de la grotte :

   – Les anciens disent que le chemin qui mène en enfer commence ici. On y rencontre quatre-vingts dix-neuf  auberges et il faut s’arrêter un siècle à chacune d’elle…

   – Quatre-vingts dix-neuf ! avait répété Alice. Cent moins un !

   – Oui, et dans ces auberges, des servantes très jolies – je crois que ce sont des fées – te proposent du vin, de l’alcool ou des boissons douces. Si tu termines la route en restant sobre, le diable te laissera repartir et ne t’embêtera plus jamais.

   – Je boirai que du Coca !

   – Non, ça c’est pire, c’est le diable qui fabrique le Coca ! 

  Sa voix avait résonné étrangement sous la voûte rocheuse. Nous n’avions pas exploré la grotte plus avant. Une chauve-souris dérangée s’était réfugiée dans une anfractuosité et Alice avait lancé des petits cris d’effroi. Nous étions vite remontés, éblouis par la lumière d’été qui transperçait le feuillage.  

Je claque des doigts, commande une quatrième bière. Le diable me rattrapera peut-être ici, au bar du Rive gauche, bien avant la quatre-vingt-dix neuvième auberge.

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