La cité des Rémouleurs

Là est né le personnage principal de mon roman « Le réveil du crabe lune »

EXTRAIT :

Les gosses assis sur le muret de descente de cave m’épiaient. Ils devaient trouver ma dégaine rassurante, elle n’avait rien de celle d’un assistant social ou d’un éducateur. Quant aux flics, aucun ne se pointait seul dans la cité.

    Je leur ai adressé un signe amical et j’ai levé les yeux sur les murs ravaudés. On croyait s’installer ici un an ou deux en attendant des jours meilleurs et trente ans plus tard c’était la quille. Les déménageurs en livrée noire vous emportaient, vieux chiffon essoré, au fond d’une armoire à poignées.

    Bâtiment 9.

    Je me souvenais d’une voisine, la mère Boucard. Une obèse qui passait son temps sur son balcon, coincée derrière une jardinière sans fleurs, vigie du radeau de la Méduse, à espérer le retour de son mari qui s’était barré, puis de ses enfants placés dans un foyer d’accueil. Un jour, la Boucard est morte d’un arrêt cardiaque, là, sur son minuscule balcon rouge. Les voisins ne l’ont pas remarquée. Elle faisait partie de l’architecture et personne ne passait sous elle. Manque de confiance dans le béton… Elle avait emménagé là quand la cité sortait à peine des terres à betteraves. Les pieds-noirs, les familles musulmanes et juives, y côtoyaient les gens sauvés des quartiers insalubres du vieux Certeuil, des bidonvilles de Champigny, avant les arrivages d’Afrique noire ou d’ailleurs. À chacun son folklore : paysage avec biche au mur, thé à la menthe, boubous éclatants…

     Les immeubles se succédaient, un peu ragaillardis, mercurochrome et bleu de méthylène sur la plaie. La vie grouillait encore au creux de la blessure.

    Escalier G, bâtiment 4.

    Sur le pas de la porte défoncée, un gamin hébété était assis dans la pisse de chien. Un autre tirait sur un mégot. La fumée a chassé un instant l’odeur qui montait du sous sol. Vieilles urines, désinfectant, épluchures pourries. Ce sirop de vie n’avait rien d’un nectar. Je retenais ma respiration en avisant la rangée de boîtes à lettres déglinguées. Graffitis, tags, insultes, cœurs percés, violés par des phallus surhumains. Les noms des locataires ne me disaient rien. Le gamin assis sur les marches, m’observait.

    – Vous cherchez qui, M’sieur ?

    – Péri.

    Il a eu une mimique d’incompréhension. Le fumeur a jeté son clope et a ricané.

    – Ah ouais, m’sieur. On les connaît, c’est la grosse qui nous gueule dessus.

    – Une pétasse ! a ajouté son copain.

    – Le mari, c’est un bouffon ! a renchéri le fumeur de mégot.

    – Et je les trouve où, la grosse et son bouffon ?

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