
Certaines nuits, elle arpente mon sommeil et me sourit à travers le temps avant de détaler dans l’aube glaciale d’une vallée du Piémont.
J’entends son galop de petite fille sur le pont de bois. Sa robe usée flotte sur ses jambes nues. La cicatrice du chemin sinue entre les arbres où s’effilochent des lambeaux de brume. Elle serre quelques châtaignes chaudes contre son cœur.
Elle a un peu peur.
Ses souliers à la semelle clouée butent sur les cailloux. Chaque matin elle en ramasse un qu’elle jette dans le torrent qui dévale la montagne. Elle voudrait caracoler sur son courant onduleux, fascinée par sa furie et le grondement de sa voix de rocaille. Emportée par le flot, comme elle rejoindrait vite l’avenir dont elle rêve, les détours peuplés de musique, les sourires, les fêtes !
Elle imagine sa robe seringa, les flonflons du bal, les bras des enfants chargés de fleurs, les demains sans faim, sans froid, sans misère, les printemps de semailles, les étés de foin, le silence de midi sous les arbres, les nuits d’amour partagé, sa vie promise. Elle ne pressent pas le train de l’exil, la servitude, sa maison envahie de montagne, sa langue qui perd ses mots, son fauteuil à l’extrémité du siècle et ces quatre murs où son regard se posera sur le vide du papier peint. Non, sur le chemin de son enfance, elle voit sa vie s’arrondir comme le soleil rouge qui monte derrière le vitrail givré des branches. Elle oublie le froid et le flot noir du torrent. Elle ne veut pas qu’il l’engloutisse.
La cloche de l’école où elle ne va déjà plus tinte dans le bas de la vallée. Elle reprend sa cavalcade pour rattraper son retard et descend la pente, la main fermée sur les châtaignes tièdes qu’elle n’a pas eu le temps de manger. Au fond du sac de toile pendu à son épaule, un oignon, un morceau de pain, son repas de midi.
Elle rejoint la filature et le cercle vibrant des machines. Aujourd’hui, elle a dix ans et, demain, une autre pierre l’attend sur le chemin.
Très beau..;
J’aimeJ’aime
Un grand merci !
J’aimeAimé par 1 personne
Bonjour Anne et mille bises !
J’aimeJ’aime