La vague

un extrait d’une nouvelle du recueil « Pastel noir »

Avant la nuit

Lundi 21 juin 2015 –  22h42 – Pleine mer

   La fenêtre de sa chambre est ouverte. Elle écoute la mer mener sans trêve ses trains de vagues à l’assaut de la côte. De temps en temps, une lame plus forte résonne au fond des cavités rocheuses. Elle compte les vagues pour vérifier la périodicité du phénomène. Habituellement, ce calcul l’aide à s’endormir mais ce soir la mer lui refuse sa berceuse.

   Elle se lève, se traîne dans la salle de bain, presse l’interrupteur. Le miroir jaillit de l’ombre, impitoyable. Elle essaie de sourire à son visage raviné par la lumière du néon. Pourquoi pleurer, pour qui ? Elle reste longtemps devant le miroir. Ses larmes se tarissent. Une petite reniflette, elle se mouche, roule en boule le mouchoir de papier, s’adresse quelques grimaces. Enfantillage. Apitoiement ridicule… Elle embrasse son reflet qui ne fait rien pour elle en retour.

   Son entourage la croit forte parce qu’elle ne se plaint jamais. Elle résiste, espère. Mais quoi ? Mais qui ? Tous aveugles et ignorants ! Tous ceux qui passent sans la voir … Et elle ? Est-ce qu’elle essaie seulement d’être vue, de voir qui la regarde ? À quoi bon rejouer ce jeu, séduire, être séduite, voir, jour après jour, s’abîmer joie et fantaisie dans le marais des habitudes, des tracasseries quotidiennes, des déceptions…

  Elle  se passe un peu d’eau fraîche sur le visage. Assez de misérabilisme ! À trente ans, la vie est devant soi. En principe. Il faudrait qu’elle reprenne ses démarches pour le divorce, et adieu Théo ! Mais qui connaît la procédure qui efface les vieilles images et les noie dans leur saumure quand elles viennent polluer vos rêves et gâcher votre sommeil ?

   Elle branche son cerveau sur le rythme du ressac qu’elle entend depuis sa chambre mais, quand elle ferme les yeux, elle ne voit qu’une vague immobile, cristallisée, figée. Elle songe à son geste stupide, tout à l’heure, quand elle a découvert Théo endormi sur le canapé. Elle s’est agenouillée près de lui et a déposé un baiser au creux de sa main abîmée qui gisait dans la lumière. Elle pense qu’elle est incohérente. Une folle.

   Elle se lève, passe une robe légère et sort dans la nuit. Le chemin serpente entre les genêts. Elle le suit en écoutant le grondement de la mer, inlassable.

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