Némésis

Le début d’une nouvelle du recueil « Pastel noir » sur le thème du plagiat.

(Collage et crayons de couleur – Joël Hamm)

Pierre Dubreuil luttait avec l’héroïne de son nouveau roman. Elle lui résistait, n’en faisait qu’à sa tête et finalement lui échappait, marchant vers un destin qu’il peinait à imaginer. La dépression le guettait.

   Il ouvrit son agenda au 10 août. Son stylo Mont Blanc resta quelques secondes en suspens, appuyé sur l’air moite, puis il se mit à écrire : Canicule ! Chienne de chaleur ! Chien, roquet, cador, clebs, toutou… Médor… Ouah ! Ouah !

   Désespérant ! Il biffa ses facéties. La climatisation de son bureau avait rendu l’âme trois jours plus tôt. Il dégoulinait.

   Il se leva, ouvrit un minuscule frigo, dégoupilla une canette qu’il lampa d’un trait. La bière rejaillit immédiatement par tous ses pores. Il s’approcha de la fenêtre ouverte. Un souffle brûlant assaillit ses poumons. Il se pencha. Une traînée éblouissante s’étalait sur les capots des voitures garées trois étages plus bas. Paris au mois d’août… Il imagina l’effet d’une chute, s’éloigna de la fenêtre. Aucun attrait pour le suicide. Juste un coup de chaleur, un peu de fatigue. Rien de grave.

   Ecrivain reconnu, directeur de collection dans une maison d’édition de la rive gauche, Dubreuil espérait encore beaucoup de la vie.

   Il tapota sur son ordinateur portable, afficha le dernier chapitre de son roman en cours d’écriture. Il commençait à détester son personnage principal, une femme dont il saisissait mal la psychologie. Il  éteignit l’écran, referma la boîte de Pandore de ses chimères, comme il l’appelait pompeusement et avisa les cinq manuscrits empilés sur son bureau. Cinq rescapés de l’écrémage effectué par sa brigade de lecteur. Il devrait les examiner à son tour. La routine : lire la première page, deux si affinité, survoler le reste, piocher une phrase par-ci par-là, jeter un œil à la conclusion et, enfin, prendre une décision : poubelle ou lecture approfondie. Il fallait bien consentir à éditer quelques talents secondaires…

   Dubreuil sonna le secrétariat.

   – Sylviane ?

   – Non, monsieur, Paula. Paula Messine. Vous savez, la nouvelle stagiaire.

   Il marqua une pose, charmé par la voix de la jeune femme.

   – Je pars à la campagne, dites à Sylviane qu’elle m’y rejoigne ce week-end. Même tarif que d’habitude. Elle connaît le chemin…

   – Sylviane est en congé, monsieur.

   – Dans ce cas, Paula, c’est à vous que je confie cette tâche.

   – Ce serait un plaisir monsieur Dubreuil, mais…

   – Je descends vous expliquer.

   Il raccrocha, s’épongea le front et le tour du cou. De sa sacoche, il tira une fiole d’essence de lavande dont il s’aspergea les dessous de bras.

   Dubreuil qui vouait un culte aux stars américaines des années cinquante, trouva à Paula un faux air d’Ava Gardner jeune, en plus vulgaire. Il se faisait fort de la convaincre. Elle viendrait l’assister chez lui, à domicile, que ça lui plaise ou non.

   Paula refusa sa proposition, malgré les menaces. Une forte tête, cette sainte nitouche. Finalement, elle lui évoquait Bette Davis jouant le rôle de Rosa dans La Garce de King Vidor. Dubreuil prenait conscience qu’il n’aimait pas les brunes.

   Il se retrouva donc seul à la campagne.

   Le temps avait changé, il grelottait dans sa maison forestière humide perdue au cœur de la forêt du Morvan, avec son roman à terminer et cette corvée : lire les cinq manuscrits en attente.

   Il en saisit un au hasard et commença à le feuilleter.

A suivre dans le recueil…

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