un extrait d’une nouvelle du recueil « Pastel Noir »

Aujourd’hui je déambule, indifférent au décor. Les platanes et les marronniers du parc des Buttes Chaumont sont encore debout. Au contraire des humains, l’âge leur a donné de la force. Sous leur ombrage, effondrés sur les bancs, des vieux birbes auxquels je ne voudrais pas ressembler ressassent des anecdotes blettes en lançant du pain aux canards du lac. Certains ont été mes camarades de classe. Une fois, je leur ai demandé s’ils se souvenaient de Lola et d’Esther, sa mère, qui était couturière à domicile. Ils ont bougonné en chassant de la main les images d’un passé aussi ranci qu’eux. C’est vieux tout ça…
Nous allions à l’école du passage Louvet, actuellement baptisé rue Jean-Pierre Bloch. Lola côté filles et moi chez les garçons. Ma mère était femme de ménage et mon père travaillait aux halles une partie de la nuit et de la matinée. J’étais souvent seul à la maison. Mon cartable sur le dos, je me postais derrière la porte et, quand j’entendais celle d’à coté s’ouvrir, j’attendais un peu et je sortais. Les premiers temps, j’ai suivi Lola et sa maman à distance mais, après quelques jours de ce manège, elles m’ont attendu et nous avons pris l’habitude de partir à l’école ensemble. En fin d’après midi, nous allions au parc des Buttes Chaumont. Une fois, Lola m’a invité chez elle à son anniversaire. Ma mère a catégoriquement refusé. Des gens qui ne parlent pas correctement le français ! Des parasites… Pure méchanceté envers des personnes qui n’avaient que leur joie de vivre pour résister aux duretés de l’époque. La cloison de notre appartement était mince. Ecoutez-les, ces deux rastaquouères, c’est la guerre et elles chantent ! fulminait ma mère. Si ça continue, je vais porter plainte !
Indifférent au décor? Pas tant que ça… bonne journée Joël!
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Pas d’indifférence, en effet !
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