
– Il m’avait dit : Je vous écris, promis… sans faute ! Mais je n’ai jamais rien reçu de lui…
– Étrange !
– Pas tant que ça. Écrire n’était pas son fort. Ça l’effrayait ! Il se souvenait des remarques rageuses biffées au stylo rouge sur ses cahiers d’école : Faute ! Nul ! Comme autant de balafres sanglantes sur les pages, de stigmates dans son âme. Sacro-sainte orthographe ! Si cruelle quand elle est sensée faire la preuve qu’on écrit en bon français et, pourquoi pas, en pur français…
– Il avait sans doute trop bien intégré le catéchisme de l’école : En vérité, je vous le dis, la faute d’orthographe est un péché…
– Ne riez pas ! Pour lui, la faute était devenue un manquement au devoir, à la morale, à la loi. La loi de l’orthographe, impitoyable, qui le renvoyait à son imperfection, à sa supposée nullité fondamentale. Que voulez-vous, c’était un rêveur, un poète… Au lieu de faute, il aurait préféré qu’on lui parle d’erreur. L’erreur peut se corriger alors que la faute demande à être pardonnée. Mais par qui, au nom de quoi ?
–Les petites blessures d’enfance laissent décidément des cicatrices profondes.
– Oh, vous savez, il y a si longtemps que l’écrit et la blessure ont partie liée…
– Est-ce possible ?
– Oui, mais ceci dit, ne comptez pas sur moi pour prôner un libéralisme orthographique débridé. Je ne veux pas qu’on simplifie nénuphar en nénufar. C’est si bon d’observer un mot, depuis le bord de la mare, d’admirer ses fleurs, de voir, sous ses téguments, son âme nue, d’y lire son histoire, tellement liée à notre propre histoire humaine, et si doux aussi d’écouter sa musique quand on le dit : Nénuphar, nénuphar… Vous entendez le chant des grenouilles ?
– Quel vacarme !
– …Et puis, les mots sont mystérieux. Vous souvenez-vous que dans le mot Choucroute, c’est la syllabe croute qui veut dire chou ?
– Chou ! C’est mignon ! Mais revenons à l’orthographe. Vous en faites beaucoup, des fautes, vous ?
– Cela m’arrive.Personne n’est parfait, et encore moins constant. Au cours d’une même vie, on peut être tour à tour bon ou mauvais en orthographe.
– Tiens donc !
– Imaginons un être orthographique parfaitement au point techniquement. Un être humain, je précise. Sa complexion d’être humain, justement, le condamne à réagir aux événements, le soumet à une humeur fluctuante, à des distractions ou même aux forces sous-jacentes qui agitent son inconscient. Perturbations qui le conduiront immanquablement à la faute, un jour ou l’autre. Que celui qui n’a jamais péché … La faute d’orthographe, personne n’y échappe, croyez-moi.
– L’erreur, pas la faute !
– Bien sûr ! Mais, chut ! Le maître réclame le silence, écoutons-le :
– Voyez-vous, l’orthographe à quelque chose à voir avec l’affectif. L’acte d’écrire demande qu’on prenne de la distance avec ce qu’on écrit, qu’on se décontextualise. Il faut avoir vis à vis du langage, ce qu’on appelle une position méta…
– Méta quoi ? Personne ne comprends, m’sieur !
– Ça veut dire être capable de visualiser sa prose avec un certain recul, un regard critique, un esprit d’analyse, et j’en passe.
– P’tain ! On n’est pas des robots !
– Silence au fond ! M’apporterez votre livret de correspondance ! Ecrire, donc, c’est exprimer le soi, mais avec le regard de l’autre, c’est exprimer notre fond personnel, intime, notre interprétation du monde tout en ayant un pouvoir de contrôle. Plus on est collé à notre écrit, moins on s’en dégage, plus on commettra d’erreurs orthographiques, syntaxiques, et moins notre expression concernera l’autre.
– J’allais le dire !
– Dehors ! On s’expliquera après le cours ! Reprenons… Bien sûr, ces écarts parfois amusants peuvent être qualifiés d’actes manqués, de lapsus graphiques. Ils jouent avec les mots à notre insu. Un peu comme vous, au fond de la classe qui tapez le carton en pensant que je ne vous vois pas. Mais continuez ! Tant que vous ne perturbez pas la classe … Ou en étais-je ? Oui, c’est ça ! L’écrit est codifié de telle manière que nous puissions disposer d’un patrimoine commun qui nous permet de communiquer, de nous comprendre et de nous réunir. Alors que, bizarrement, il est produit en référence à la différence, à l’écart, au manque.
– On pige rien, que dalle !
– Pour comprendre, il faut le vouloir ! Comprendre : Con-prendere, prendre avec soi. Ah vous riez, bien sûr, j’ai dit « con ». Pensez un peu à l’étymologie des mots ! Vous saisissez. Je reprends… L’étymologie du mot écrire, par exemple, est, en ce sens, très intéressante. Écrire vient d’une racine indo-européenne : sker ou ker exprimant l’idée de couper, et que l’on retrouve en sanskrit sous la forme de krnati, blesser et krit, couteau. Il existe une forme élargie squeribh : inciser, regroupant à la fois l’idée de scarifier et celle d’écrire. Cette idée de couper s’est très tôt appliquée à œ que l’on pouvait détacher par petits morceaux, par lambeaux : le cuir, l’écorce… Ces premiers supports de l’écriture.
Des lambeaux de cuir aux lambeaux de chair, il n’y a que l’espace d’un coup de couteau plus profond, et l’on retrouve cette racine dans un grand nombre de mots. Par le biais du latin carnis, nous avons chair, charnier, charogne en français.
Écrire renvoie bien à une problématique de la coupure, de la séparation. Et aussi à quelque chose de plus saignant… Grrrrr !…
–M’sieur, on a rien fait !
– C’est bien ce que je vous reproche ! Bien, le cours est terminé. Rangez vos couteaux, vos dagues… vos stylos. Et vous, au fond, votre paquet de cartes. La prochaine fois nous étudierons le mot LIRE. Sachez pourtant que lire ne guérit pas les fautes de français. Il faut écrire, beaucoup, sans complaisance….
– Au scalpel, m’sieur ?
– Au scalpel ! Au scalpel !
– Pitié, m’sieur !
Meta carpe diem ( pas au court bouillon)
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Farcie, peut-être ?
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C’est la perche qu’est Farsi ( pas facile celle là)
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Et pourtant tu me la tends
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