Le journal de Vincent Malbec

Visage posé sur tes mains, face à la mer, tu regardais les orphies tirées en rang hors de l’eau, lames souples que le pêcheur éventrait et jetait sur le rocher. La ligne flottait sur les vagues. Bouchons dansants, questions.
Sphinx, tes yeux d’ardoise interrogeaient l’horizon, la mer houleuse et les îles posées sur les brisants où le vent sculptait des oiseaux. Tu semblais attendre l’équinoxe sous le défilement des nuages apatrides.
Mes bras de laine musclaient leur tendresse pour choyer ta peine, l’endormir, la distraire, la murer en son monastère. Au matin, tu t’éveillais apaisée. Tes paupières, d’un tressaillement, libéraient la beauté retranchée en ton cœur.
Qui respire la grâce d’un jour sans amertume rejoint l’enfance de son âme et voit l’instant de la balance à son juste équilibre.
Depuis ta disparition, Irina, j’ai vu le soleil se coucher huit mille fois. Ma tristesse a fini par mourir d’ennui. Tu ne viens plus me voir qu’en songe, par une vallée nue, sous des pluies noires, entre mes épaules de sommeil.
Tes joues ont un goût de brume.
Adieu, ma une, ma multiple. Jamais plus ta présence. Dans aucune vie, aucun pays. Ni au fil d’un torrent, ni sur une colline décoiffée par la tramontane.
Tu as franchi la grille forgée, assaillie par les mouches de soleil, ton sourire vibrant des électrons de juin.
La marée des jours a effacé ton nom, tes traits sur la plage. Ta main a déserté ma nuque. Ton sac gonflé d’éternité s’est vidé des bourgeons éclatés, des soirs d’avril, des neiges roses, du mai bleu, du goût des fleurs de thym, des élytres d’un criquet, du pollen safran des abeilles. Peut-être que celui qui s’est arrêté pour te secourir après ton accident a vu, dans le myosotis de tes yeux, s’éteindre les météorites d’or.
Ton image, attendue chaque jour, s’estompe ; elle est devenue aussi diaphane qu’un voile de soie usé.
Je ne reverrai plus tes baraques de berger, tes litières d’azur, tes matins de naissance d’agneaux, la transhumance céleste des troupeaux veillés par la grande Ourse.
Tu sillonnes mon sang, ma souterraine, sur la crête des houles, écume battue par les proues de mes navires obscurs. Tu vogues, inaccessible, incandescente.
J’aime beaucoup, la langue est savoureuse…
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Je la cuisine, cette langue, à l’aigre-doux. Merci
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Mes yeux ont peint ton texte, ça rend vraiment bien !
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C’est joli ce commentaire.
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