Le journal de Vincent Malbec

Qu’est-ce qu’on attend pour absorber la faute et investir ailleurs si notre vie est un mauvais placement ?
Après mon départ, Lola, mes racines s’atrophiaient, privées de terre et d’eau. Nous avions connu des jours meilleurs. Nos baisers fous rendaient jaloux les pièges à loups. Buveurs de salive, saoulés du sang de nos langues, nous rendions l’âme, cœur exsangue. Tu avais bâti mon dos, mes épaules, tissé le réseau de mes veines, tendu ma peau sur mes os. Je ne t’ai rien laissé. Tu ne m’as pas suivi. J’étais le voleur de ma propre vie.
Nous étions si petits, si méchants. Un polaroid pris à l’époque, retrouvé au fond d’un tiroir, montre, indécente, notre faible épaisseur.
Pâtures de la mort, gouffres au goût de cumin, les tiroirs sont assassins.
Nous sommes jeunes sur la photo. Pas très nets et tristes. Aurait fallu bidouiller l’image, la nacrer, l’oranger, la dorer, la verdir là où apparaissent des morceaux de nature. C’est ce que j’ai fait à treize heures zéro neuf exactement, cet après-midi, avec des feutres de couleur. Cela n’a pas suffit. J’ai déchiré la photo. Pris de remords, je me suis demandé si j’avais eu raison de foutre à la poubelle notre figure de polaroid. Ça m’a donné envie de te revoir.
Qu’arrive-t-il à celui qui revient ?
Presque rien : au détour d’une rue, le parfum Poison ; dans un bar, un verre d’alcool vert importé des caves de nos mémoires, des mots durs et justes.
Qu’arrive-t-il à ceux qui se retrouvent ?
Tout : lagune, dune, sable azur, humus, douce plume, dure mousse, sillon fauve, nacre perlée, cuisses ouvertes, dorades grises, rades scintillantes.
Deux âmes à la mer !
Tu seras là, près de moi. La mystérieuse légende nous tendra ses bras de paix. Nous réapprendrons à sourire.
Peu importe le temps perdu, nous serons arrivés au seul endroit de la vie. Le lieu du retour.