Une vie

Le journal de Vincent Malbec

Acrylique et huile sur bois

Tu nais, un jour ou l’autre.

   Le trajet est périlleux. Tu relèves la tête. Sans voir les détails du chemin. Tu trébuches. On ne t’en veut pas. Ta maladresse adolescente est une preuve de  sincérité.

   Peu à peu, tu gagnes en assurance mais tu as tort de bousculer tes aînés au lieu de les laisser t’apprendre ce que tu ne croiras que tardivement.

   Arrivé à l’âge adulte, tu cherches la perfection. Les défauts dans ton tissage te désespèrent. Tu mets du temps à comprendre que tu n’es pas Dieu, qu’il est inutile de chercher à triompher, et que les vainqueurs d’aujourd’hui seront les vaincus de demain.

   Provocateur et sardonique, tu te tiens hors de la mêlée. Tu désires vivre librement.

   Prends garde ! En cherchant à fustiger les médiocres, tu le deviens. Tu te perds de vue. Tu deviens sombre et secret. Ris plutôt, dévoile tes attirances profondes. Qui se souciera de ta différence ? Au moins, tu seras toi-même et tu te reconnaîtras.  

   Les choses continuent, avec ou sans toi.

   Certains matins, le vide chevauche la brume des prairies. L’étau interne exprime ton jus de vie, ta sauce intime. Tu ressens le mal absolu. La déréliction te gagne. Appâter les requins de ton propre cadavre serait une délivrance.

   La folie te joue son grand air.

   On te soigne.

   Les pilules roses étouffent la pieuvre bavarde nichée en ton cerveau. Tu te réveilles, à peine différent, soulagé de tes maux, intact de toute pensée essentielle. Tu as bu fleuves et mers, peint des yeux sur tes œillères, décroché la lune de sa patère.

   La vie te reprend.

   Tu t’es endurci puisque ta faiblesse n’a pas eu raison de toi. Pas question de disparaître sans connaître la guerre, la vitesse et l’alcool. Toi qui étais si prudent !

   Épisodiquement, tu aimes un peu, beaucoup, tu te demandes… Difficile de savoir.

   L’amour n’aura pas ta peau.

   Tu veux survivre à tout prix et mourir de ton vivant. Ta vie résiste aux marchandages de la mort. Tu cherches des raisons d’espérer en lisant les textes sacrés. Pour un peu, tu prierais.

   Éprouvées par la vie quotidienne, tes croyances se fanent. Tes convictions s’effacent.

   Tu maudis ta marche ralentie et la pitié que tu perçois chez les jeunes gens qui te bousculent. Que fais-tu donc dans leurs jambes ? Tu devrais te souvenir.     Tu deviens vraiment superflu.

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