Le journal de V.M

C’est l’hiver.
J’habite une ville d’opérette au kiosque déserté par les orphéons, fière de ses pâtissiers honorés par les guides gastronomiques, de ses noces en dentelles de chantilly sur le parvis de la basilique, et tenant sa vraie misère confinée hors des remparts.
Ce qui me rend triste, ce n’est pas cette ville de carton pâte, c’est d’être proscrit de mon être poétique. L’elfe en moi meurt souvent d’une indigestion de saucisses.
Je suis insomniaque. Mille souvenirs encombrants et retors me torturent. Je me lève pour pisser, avale un comprimé rose puis me poste à la fenêtre de la cuisine. Je scrute la nuit. Un court instant, une comète givrée insole le ciel vide. Ce n’est pas elle qui mettra le feu au monde. Il me faut plusieurs verres de gin avant de regagner mon lit.
Je dors d’un sommeil troué d’images en furie et me dresse d’un bond à la première sonnerie du réveil. Pris d’un léger vertige, je titube jusqu’à la salle de bain, migraineux, vulnérable. Je déjeune sans faim, en pensant à la journée qui m’attend, au bureau, aux collègues.
La fatigue me plombe d’un coup. Une lueur grise filtre par les rideaux de la baie vitrée. Je frissonne en enfilant mon manteau d’hiver et m’affale dans un fauteuil.
Ce matin là, je reste chez moi. Peur d’être heurté par un autobus, incapable d’avoir à supporter le sourire mendiant d’un malheureux recroquevillé sur une grille de métro ou le parfum d’une fille trop belle qui me croiserait, indifférente.
À la nuit tombante, je suis toujours engoncé dans mon fauteuil, le regard vide, devant l’écran vibrionnant.