Un extrait d’une nouvelle du recueil « Ivresse de la Chute »
« Une grand-mère qui sait cuisiner les plats traditionnels et qui dévore la vie à pleine dent. »

De tempérament joyeux, grand-mère virevoltait dans la cuisine, bercée par le son hypertrophié d’une radio périphérique. Elle jonglait avec les ustensiles, tour à tour maudissant le modernisme ou chantant à tue-tête. Seule la tombée de quelques flocons de neige pouvait la calmer un peu. Et même l’attrister. Elle tirait les rideaux, devenait irritable ou bien passait des heures à fixer le papier peint d’un œil vitreux. Mes parents la trouvaient assise dans son fauteuil, sans rien de prêt pour le dîner, finalement très déçus. Moi seul pouvais la dérider. Nous faisions une partie de rami interminable en buvant des verres de muscat. C’était l’occasion pour elle de me taquiner au sujet de mes petites fiancées, comme elle les appelait, en me posant la question rituelle :
— Est-ce qu’un jour tu vas rencontrer ta moitié d’orange ? Moi, quand j’ai connu ton grand-père, j’ai tout de suite su qu’il serait la chair de ma chair. La chair de ma chair ! me répétait-elle en me malaxant la main.
Puis, elle se levait, regardait la pendule et m’envoyait chez le boucher en se dirigeant vers la cuisine.
— Ramène-moi donc un beau morceau de viande. Ou alors, non, tiens, je ferais bien un sac d’os. Tu aimes ça, hein ?
— Un sac d’os !
J’en avais des frissons.
— Non, mamée. Pas le sac d’os ! C’est bon, mais ça te demande trop de travail. C’est un plat de la campagne. Ici, on ne trouve pas ce qu’il faut.
Elle se mettait à rire en me rappelant que sac d’os était aussi son surnom quand elle était petite. J’étais maigre… Pire qu’un hareng saur !
Le sac d’os ! Le plat préféré de mémé Sylvette. Une spécialité lozérienne peu appréciée.
Si par hasard vous disposez d’un estomac de porc fraîchement tué, de quelques couennes, d’os de côtelettes au manche encore charnu, de la queue de l’animal et d’un peu de viande prise dans son cou, vous pouvez vous mettre au travail. Grattez donc au couteau l’estomac de porc nettoyé au vinaigre avant d’en coudre une extrémité. Vous couperez en petits morceaux les couennes, la queue, les os, la viande et deux gros oignons doux des Cévennes, des raïolettes, celles qui poussent à Saint-Martial. Vous assaisonnerez le tout de sel poivre et, généreusement, d’ail pilé avant de fourrer l’estomac de ce mélange. Ne vous reste plus qu’à recoudre l’organe avant de le mettre au frais. Trois jours plus tard, vous envelopperez d’un linge cette panse farcie et vous la plongerez dans un bouillon bien aromatisé. Laissez cuire doucement deux bonnes heures. Bon appétit ! De la part de la mamée Sylvette.
La recette se trouve dans son journal de bord, elle y consignait les plus infimes détails de sa vie quotidienne du temps de sa vie heureuse avec grand-père : la couleur du ciel, le poids des ceps ramassés, le jour ou le renard est passé sous le grillage du poulailler, le nom de ses chèvres, les airs sur les quels elle avait dansé au bal de Soudorgues ou de Lasalle. Son journal se termine sur cette phrase datée du 10 janvier 1940 : Il gèle à pierre fendre et Mathias ne revient pas… Après quelques pages blanches, on retrouve l’écriture régulière de grand-mère qui a noté ses recettes de cuisine préférées, mais plus une ligne sur sa vie quotidienne…
Une mine d’or ce journal
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Finalement, je préfère la mine de crayon…
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Les deux ne sont peut-être pas incompatibles
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Le dessin à la mine d’argent, c’est chouette aussi !
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Au charbon !
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