Le sourire de l’ange

Un extrait de la nouvelle tirée du recueil « Ivresse de la chute »

Un peintre du quattrocento qui mettait de la vie dans son œuvre.

Détail de la vierge aux deux anges(Filippo Lippi)

Chaque jour, il retourne là-bas, toléré à condition de ne pas bouger et de se taire. Il observe les artistes perchés sur leur échafaudage, frémissant aux frôlements de leurs pinceaux sur la paroi, l’œil braqué sur les touches de couleurs intenses qu’ils posent en rehauts sur la fresque. Une vibration sensuelle envahit son corps et son esprit. Il suit attentivement les mouvements d’un aide dont il admire l’aisance et la rapidité à répondre aux peintres : Guido, Guidolino ! Du rouge, il nous manque du rouge ! Et du bleu aussi ! Presto !

Filippo s’approche, ouvre la bouche. Guido, lui pose un doigt sur les lèvres, lui indiquant du regard les fresquistes perchés au-dessus d’eux. Il articule des syllabes muettes : Tem – pé – ra !  Filippo le voit casser des œufs, beaucoup d’œufs, en séparant les blancs des jaunes dont il retire le germe avant de presser délicatement leur enveloppe et de les faire tomber dans un creuset de porcelaine. Guido débouche un petit flacon, l’agite sous les narines de Filippo qui, paupières closes, hume l’odeur pénétrante. Gi – ro – fle ! annonce Guido avec un air de conspirateur tout en versant sur les jaunes cinq ou six gouttes de la précieuse essence. Il ajoute à ce mélange un peu d’un autre flacon et dit au travers de son sourire : Gomme de cerisier !  Ensuite, il bat les blancs d’œufs qui moussent très haut dans leur bol. Il y plonge une éponge à larges pores puis l’exprime au-dessus des jaunes. Un liquide fluide comme de l’eau s’écoule.  Pour l’éclat des couleurs !  chuchote-t-il. Guido brasse l’ensemble en exagérant sa gestuelle, réjoui de l’effet qu’il produit sur son admirateur. D’un pot de verre, il tire une cuillerée de poudre de cinabre rouge vermillon qu’il broie dans un creuset en y ajoutant progressivement la préparation à l’œuf jusqu’à ce qu’il obtienne une bonne densité de couleur.

Filippo sent brûler sa rétine comme un feu de paille.

3 réflexions sur “Le sourire de l’ange

  1. C’est une brûlure toute symbolique. Le cinabre a une couleur innocente. Filippo Lippi, dans la nouvelle, devient le peintre que l’on connaît. Il emploi une technique très personnelle pour peindre le visage des vierges. C’est une révélation en fin de nouvelle.

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