Un millimètre à l’écart du monde, suite…

J’ai sept ans. C’est la nuit. J’appelle ma mère qui tarde à venir. Je n’ose pas bouger. Je vois, dans la lueur de la veilleuse, une savane incendiée où fuient des animaux.
Je finis par m’endormir et m’éveille adulte, le regard égaré dans le désert blanc du plafond. Ma mère a disparu depuis des années. La savane a fini par s’éteindre et les bêtes affolées ne viennent plus se réfugier dans mes rêves. J’ai pourtant appris à les aimer et à ne pas les craindre.
Girafe aux pattes d’herbe, muette au long cou, guépard royal du Miombo, oryx et gnous, gazelles aux yeux d’énigme, où êtes-vous ? Et vous mouettes au long cours, quelle tempête vous exila loin de moi ? Avez-vous vu, du haut du ciel, l’ours tranquille voleur de miel qui me protégeait des hivers ? Avez-vous survolé les deux grands bœufs blancs marqués de roux qui rentraient à l’étable de cette chanson chantée par mon grand-père à la fin des banquets ?
Te souviens-tu, chenille de soie, du cocon qui nous abritait au cœur du mûrier ? Quelqu’un dévida notre écheveau pour tisser une robe de noce. Je revois la mariée assise sur une carriole tirée par un cheval blanc, tous derrière et lui devant. Sa traîne flottait sur les colzas en fleurs. Je mâchonnais des trèfles en traversant les champs et je m’endormais à l’ombre d’un pommier, bercé par le bêlement des agneaux de lait, mes frères de laine, petits nuages des prairies agrippés aux tétines d’étoiles de la voie lactée.
Douceur des soirs d’été où je rentrais à la maison, guidé par le fanal du perron qui satellisait des myriades d’insectes lumineux. Eh, les éphémères, quelle seconde parfumée nous parut un siècle et nous vit griller sur la lampe ?
J’ai survécu à ces désastres, à ces beautés, mais le sable de l’arène est sombre à la fin de la journée.
Toi, le taureau noir, notre sang comète quelle banderille d’acier le fit jaillir et rouler mercure sur la poussière ? Rappelle-toi nos coups de cornes contre les vantaux.
Vers quelle ellipse glissons-nous ?
Ils meurent tous les animaux, ceux des rêves et ceux de la réalité que nous assassinons salement.
Je repense à cette vieille photographie, un matin de Noël. J’avais le regard clair, un large chapeau de feutre et je brandissais deux colts en plastique. J’ai encore l’odeur de la panoplie neuve dans les narines. Cow-boy, justicier de mes nuits d’enfance, fais sortir du corral mes chevaux tristes. Et ne chasse pas les moineaux rieurs qui picorent leur crottin.
Très chouette texte Joël notamment l’odeur de la panoplie qui m’est remontée au nez également , bon dimanche
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l’odeur d’un monde enfoui…
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Oui dis je en allumant une cigarette
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Bon incendie, alors !
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