La visite

Le livre de Vincent Malbec, suite…

C’est ici…

L’immeuble de briques. Quatre étages, une trentaine de locataires, dont mes parents.

   Du linge au balcon. Ils sont chez eux. Désarroi, gel au cœur. Cinq ans sans les voir. Je crains leurs rides, leur probable décrépitude, leurs reproches muets.

   L’idée de passer plus d’une heure chez eux m’affole. Souvenir de mon adolescence étouffée par le papier peint beigeasse et leurs appréhensions maladives.

   Je leur téléphone rarement. C’est réciproque. Ils ne se déplacent jamais, malgré mes invitations. La saison est trop froide, trop chaude, des examens médicaux urgents à subir, voyager n’est plus de notre âge, porter les valises, attendre le taxi, mes rhumatismes… En fin de compte, leurs atermoiements me satisfont. Mauvais fils que je suis. Inconstant et oublieux.

   Je déteste ce quartier de la banlieue nord. Ma chambre au troisième étage dominait des centaines de pavillons alignés au cordeau le long de rues perpendiculaires. Tout ça bien entretenu,  ripoliné, cimenté et fleuri à l’unisson. Une réplique du cimetière du Père Lachaise. Avec en prime, aux beaux jours, le rituel concert de tondeuses du samedi et l’odeur de l’herbe polluée par celle du mélange deux temps. Et Noël ! Tous ces sapins plantés au fond du jardin, clignotant par milliers dans la nuit humide ! Ils menacent de s’abattre sur les maisons maintenant qu’ils sont devenus gigantesques et que les enfants ont déserté le nid.

   Mes rêves survolaient les barres des cités qui encadrent ce quartier. Mon esprit voguait au-delà de la brume noire qui annonce Paris, du côté de la porte de Pantin. Je me sauvais comme ça…

   Défense de stationner, sortie de véhicule, propriété privée, attention au chien. Je me gare derrière une camionnette déglinguée. 

   Je me souviens du jour où j’ai annoncé à mes parents que j’allais divorcer de Lola, que je m’étais engagé dans l’armée et que je venais leur dire au revoir. Mon père, les mâchoires crispées, a disparu dans la cuisine. Ma mère s’est laissée choir sur une chaise. Elle a dit, après un silence :

   – Tu ne viendras donc pas dimanche… Lola, tu as pensé à elle ! Et toi, qu’est-ce que tu vas devenir, mon pauvre garçon ?

    – Je verrai bien. Je serai peut-être utile à quelque chose.

   Elle a haussé les épaules.

   – L’armée n’est pas pour toi. On ne t’a pas élevé pour que tu ailles te faire tuer ou tuer les autres. Réfléchis…

   Je me présente à l’entrée de l’immeuble. J’ai le cœur qui bat la chamade. Tiens, ils ont installé un interphone, un digicode et une porte renforcée. Je sonne.

   – Oui.

   – C’est moi !

   – Je t’ouvre.

   Une si longue absence et c’est tout. La voix lasse de ma mère, comme si je revenais du supermarché d’à côté.    Un clic. La porte se déverrouille. J’hésite un peu et je grimpe les étages sur mes  jambes de flanelle.

2 réflexions sur “La visite

  1. Oh ce texte, il me fait revivre aussi, et je ne sais plus si c’est du lard ou du cochon. Pareil après 10 ans d’absence, la porte s’ouvre sur la télé allumée et un silence à table. Rien n’a changé, pas même cet homme qui revient dans le fond et qui s’étonne que rien ne change.

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