SOIF

Vitrail

Je me gare au bord de la route pour te téléphoner.

   Réponds, Lola, réponds !

   Trois sonneries et tu es là, si lointaine. L’orage grésille et les mouches électriques parcourent l’espace plus rapidement que nos paroles. Les minutes sonnent contre l’acier de l’abîme puis ta voix s’évapore au bout de la ligne.

   Tu as raccroché.

   J’attends la fin de l’averse. Les couleurs vibrent. Des grappes rouges enflamment l’arbre toxique. J’ai entendu à la radio que les orages de Poitiers allaient traverser la France.

   Je redémarre et je roule vite, droit devant, en direction de l’est. Deux éclairs parallèles sillonnent le ciel. La Beauce est plate. La moisson brille sur les champs de pluie. Les kilomètres s’égrènent. Il fait nuit maintenant. La lune pleine enfante un décor d’opéra. J’allume l’auto radio. Beyrouth est en ruine. Ailleurs, un car brûle sur l’autoroute. Des enfants agonisent sur les routes et sous les décombres des villes. Au même moment, dans la nuit de loup, derrière les murs des maisons mortes, des amants se désirent, nourris de paix et de fruits calibrés. Mes rancœurs chassent ton visage surgit des nuées.

   J’ai sommeil. La route est droite, le ciel boueux. Nous étions décidés à donner l’exemple du bonheur : une goutte d’eau sur le brasier.

   Je chasse de mes pensées l’inutile chagrin qui ne ferait que s’ajouter aux malheurs du monde. Je ferme les yeux, au risque de m’endormir.

   Petit matin.

   Au premier bar venu, je bois le vin de l’oubli. Sa lumière de vitrail flamboie sur ma peine. La froidure de la nuit a laissé sa fièvre sur la buée des vitres. Je porte un toast au soleil levant, aux passants dont l’ombre longue caresse les pavés lavés. Un journal est plié sur le comptoir. Je l’ignore, je connais déjà ses nouvelles, les mêmes qu’hier, agrémentées peut-être des résultats du loto qui donnent un maladif espoir à ceux qui croient que l’argent les sauvera de tout. Et qu’ils seront gagnants. Je trinque avec les buveurs de blanc sec, alcoolique, généreux et transparent. Aujourd’hui, je vais picoler. La région est riche en caves. Touché par la grâce, je livrerai mon nez à la vapeur des tonneaux Je donnerai mon cœur à l’enfant bleu, mes tripes au chien errant, ma terreur aux guerriers. Je jetterai ma vérité dans un ventre de location.

   Ivre, je sors du café devenu trop bruyant et pénètre dans la cathédrale. Le regard fixé sur les fresques qui naissent de la lumière, je lève un verre imaginaire à la santé des madones. Sur les dalles usées, tachées de rubis, je chancelle et chantonne un hymne aux traîtres trahis. Mes maux sont insignes et dérisoires comme au temps où je glissais à la surface des peines, insensible. La comédie était douce et moi léger. Je connaissais ma partition sur le bout des doigts. Elle aimait mes doigts en elle, Lola. J’étais un jongleur qui saisissait au vol le rire des passants et en faisait des vocalises, un mille-pattes sensuel, masqué, un champion des volte-face. Le rideau est tombé et je fuis, rêvant à celle que j’ai cru aimer, à celle qui ne m’aime plus, ne m’a jamais aimé.

    La rue fuit en lanière de pluie. Sur la place, l’eau des fontaines jaillit en traits de marbre. Une mélodie lente, belle à boire, tourne dans le vent.

   Je titube et je souris aux passantes, madones qui s’ignorent. Je devine que leurs lèvres ont un goût de brume froide. Je ne sais plus où j’ai garé ma voiture. Quelle rue, quel parking ? Je vais au hasard. La carte du Tendre est obsolète. Je la redessine mentalement, au vingt millième et je crée l’amoureuse dont je rêve. Je l’attendrai à la confluence de la rivière Patience et du fleuve Anxiété, oscillation du silence sous une croix de granit bleu. Elle tracera au fur et à mesure de sa marche de nouveaux chemins pour me rejoindre. Ensemble, nous partirons à l’aventure, rafraîchissant nos âmes au secret des fontaines. Nous visiterons des pays inconnus, perchés sur les sentiers penchés, accrochés à la terre, si minuscule sur la carte céleste. Nous irons sans boussole…

   J’en ai besoin d’une.

   Tout de suite !

   Où est ma voiture ?

   Le déluge redouble.    J’ai soif.

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