Ce soir, le mistral sculpte des toupies bleues dans le ciel carmin. Elle revient, la jeune fille dont j’ai souvent rêvé, par une vallée nue, à la presque nuit.
Elle gravit la colline venteuse, s’approche d’un mas abandonné, pousse la porte de bois déglinguée et se blesse aux ronces qui envahissent le seuil. Elle se faufile par l’étroit passage et s’aventure dans la pénombre. Un fagot l’attend près de la cheminée. Elle allume un feu et voit, à travers les flammes, renaître des silhouettes disparues.
Dehors, deux chevaux dorment debout sur la prairie nocturne. La brise légère emmêle leurs crinières et des ramiers dans le feuillage d’un tilleul croient au grand jour sous la lune pleine. Cachés par les feuilles bleues de l’arbre, ils s’ébattent, éveillent des révoltes de plumes. La jeune fille étale son duvet devant l’âtre, s’y glisse et s’endort.
A l’aube, elle sort de son sac à dos des biscuits qu’elle grignote en musardant dans la maison. Elle fouille le tiroir d’un buffet branlant. Il est empli d’objets hétéroclites. Toute une vie est là, plusieurs sans doute. Le passé y sommeille, ranci de bois ciré : pantin aux couleurs défraîchies, cartes de Noël rehaussées de paillettes ternies, un vieil exemplaire de la Divine comédie aux pages scotchées. Sur des photographies sépias : les sourires d’enfants fanés, l’ombre accroupie d’un peuple soumis aux caprices des puissants, des rues désertées.
Elle referme le tiroir, ajuste son sac à ses épaules et sort. L’aube repousse les ombres à l’horizon, de l’autre côté des collines. Avant de partir, elle boit un peu d’eau de source à un tuyau scellé dans les pierres d’une restanque. Elle descend le sentier, longe un mur, vestige d’une bergerie, le frôle de sa main, caresse sa rugosité. Mur de pierres sèches, nougat de sable, rocaille harassée d’orties, de grimpants, citadelle des reptiles. Des insectes funambules le hantent. Ci-gît la montagne concassée, mise en ordre, empilée. Sous ses yeux, les pierres retournent à leur origine, en silence, imperceptiblement.
Les canonnades du siècle dernier résonnent au fond de la vallée. On s’est massacré sur ce sol. La jeune fille piétine des ossements. Des grains d’homme roulent sous ses pas. Une vraie archéologie.
A midi, elle se repose près d’un amandier en fleur qui se moque de ses racines prises dans l’hiver. Avant-garde du printemps, il déploie son rire blanc. Chef d’une troupe de cinq mille arbres, pas un de moins, au détour du vallon, il fait la nique aux neiges des cimes, très loin.
Elle sourit à cette promesse de paix…
(Extrait du roman : « Un millimètre à l’écart du monde » – J. Hamm)
Pur et délicat, de la poésie en prose. J’aime beaucoup l’image de l’amandier en fleur qui déploie son rire blanc…
Tu as écrit un roman Joël ?
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Un roman qui ne semble pas beaucoup plaire aux éditeurs…
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